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accroissement nouveau, un débordement ! D’autres procès se sont engagés timidement d’abord, puis nombreux et réguliers, suscités par l’idée moderne de responsabilité qui veut que le séducteur indemnise la fille séduite, que le père naturel nourrisse son enfant. Les lois sociales enfin, si fréquentes depuis dix ou quinze ans, ont imposé aux avocats une activité redoublée : la seule loi des accidens du travail fournit chaque année des milliers d’affaires. C’est au Palais et dans le cabinet de l’avocat que réagissent toutes ces oscillations où se manifestent les progrès, les erreurs, les efforts de la vie nationale.

Elles eurent un autre effet que de transformer la fonction du Barreau ; la plaidoirie, son allure, son langage s’en trouvèrent aussi’ profondément modifiés. Il était possible aux avocats d’autrefois de mêler à leur procès l’histoire universelle : ce serait une indiscrétion impardonnable dans des causes où la complexité des faits réclame toute l’attention du tribunal, et cela, tandis que d’autres causes attendent d’être plaidées, que leur nombre augmente chaque jour et presse de plus en plus le jugé. Il a donc fallu que le plaidoyer se dépouillât, se fit rapide et, comme on dit au Palais, « utile. » Qu’un avocat plaide utilement, cela signifie qu’il expose avec clarté, qu’il discute complètement et nettement, qu’il laisse au magistrat une tâche parfaitement préparée : et c’est un grand éloge. Sans doute le plaidoyer risque ainsi quelque sécheresse, mais ce défaut est moins pénible que celui de la redondance. Les idées générales ne sont pas interdites à l’avocat ; mais par respect pour elles, il se contentera de laisser voir qu’elles sont présentes à son esprit et qu’elles défendent sa cause. Il ne sera pas moins discret dans l’emploi des images : il ne doit pas se laisser prendre à leur beauté, qui d’ailleurs pourrait ne charmer que lui-même ; l’essentiel est qu’elles viennent à point illustrer quelque partie du plaidoyer qui en a vraiment besoin. Peu à peu, dans l’espace des cent années écoulées, l’éloquence judiciaire s’est ainsi assouplie, allégée, simplifiée. Les doyens du Barreau d’aujourd’hui ont suivi ce progrès à travers les récits de ceux qui, vers 1850, étaient leurs anciens, puis dans les maîtres qu’ils ont entendus, et par leur propre manière enfin. De Marie, Paillet, Berryer, à Jules Favre, Dufaure, Crémieux, de ceux-ci à Lente, Allou, Rousse, Barboux, Waldeck-Rousseau, sans parler des vivans, le souci d’agir, de convaincre, d’emporter la victoire