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prête là où il comptait sur une armée en complète formation : il n’avait pas encore pu à cette date, en admettant qu’il dût y avoir déception, l’éprouver déjà, puisque les mouvemens de troupes venaient seulement de commencer. L’explication se trouve dans un fait diplomatique que les critiques militaires semblent avoir ignoré. Notre offensive pouvait s’exercer par le Rhin ou par la Sarre. Le choix dépendait de l’attitude de l’Autriche. Était-elle décidée à s’unir à nous, il fallait aller à sa rencontre par le Rhin ; devait-elle rester neutre, c’était nécessairement par la Sarre que nous devions entrer en Allemagne. Or, le plan stratégique de l’Empereur, calqué sur celui de l’archiduc Albert, supposait la coopération de l’Autriche. L’Empereur s’y confiait d’autant plus que, le 15 juillet, Gramont, avec Metternich et Witzthum, confident de Beust venu de Bruxelles, d’une part, et Nigra et Vimercati de l’autre, avait arrêté un traité de triple alliance que Witzthum avait emporté à Vienne et Vimercati à Florence pour le soumettre à la signature de François-Joseph et de Victor-Emmanuel. Or ce traité de triple alliance n’avait pas été signé, et l’Autriche, dans un conseil solennel, venait de proclamer sa neutralité (18 juillet).

Si cette neutralité avait été déclarée comme celle de la Russie, d’une manière absolue, irrévocable, l’Empereur eût vu clairement la situation et eût certainement adopté le parti conseillé par le bon sens stratégique, d’autant plus que c’était le seul possible, puisqu’on n’avait pas fait irruption dès les premiers jours au-delà de la Sarre. Il aurait passé cette rivière, se serait établi entre sa rive droite et la zone boisée de Kaiserslautern, et là, maître des chemins de fer sur la rive intérieure entre les diverses armées allemandes, il eût, suivant les circonstances, opéré contre l’une ou contre l’autre. Aucune de ces armées n’était encore en état de l’assaillir. Steinmetz arrivait à peine à Trêves ; Frédéric-Charles n’était pas engagé dans les issues de la zone boisée et le prince royal, interrogé par Moltke, le 30 juillet, avait déclaré qu’il n’était pas encore en état de prendre l’offensive.

Mais Beust, en faisant annoncer sa neutralité la présentait comme provisoire : elle ne devait être que la préparation de l’alliance promise ; Gramont confirmait ces vaines illusions, et l’Empereur, espérant toujours une décision favorable de l’Autriche, ne se résolvait pas à s’éloigner de Strasbourg et à se