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évident que l’orage couve et qu’il est proche. C’est l’arrivée d’un quatrième larron qui va le déchaîner. Une Mme Allain fait passer sa carte. Thérèse a d’abord refusé de la recevoir, l’ayant connue jadis à Paris, et n’ayant emporté d’elle à Vizille qu’un souvenir où l’estime tient peu de place. Mais Mme Allain n’est pas une visiteuse ordinaire ; elle est le malheur qui vient frapper à la porte d’une maison : la porte ne peut faire autrement que de s’ouvrir. Mariée, mère de famille, nourrice et bonne laitière, cette agréable personne a toutes les apparences d’une bourgeoise paisible. Mais il y a aussi en elle un je ne sais quoi, difficile à définir, impossible à préciser, auquel ne se trompe ni l’instinct d’une femme qui craint pour son bonheur, ni celui d’un homme qui cherche son plaisir. Et tout de suite nous voyons auprès de la nouvelle venue chacun prendre l’attitude qui convient à son rôle : Thérèse, une réserve qui ressemble à s’y méprendre à de l’éloignement, Michel, une familiarité qui ne demande qu’à se convertir en intimité. C’est Augustin qui est le plus amusant à regarder. Lui, le timide, le silencieux, le sauvage, le voilà qui s’apprivoise, s’anime, se multiplie, et parle, et bavarde, et rit, et fait des mots, et fait des grâces. La métamorphose a été instantanée et complète. La magicienne n’a pas eu même à donner un coup de baguette, ni un coup d’œil : sa présence a suffi. Mme Allain vient dans le pays pour recueillir une succession : un oncle lui a laissé en mourant la Commanderie, propriété voisine de celle des Fontanet. Augustin n’admet pas qu’elle s’installe à l’hôtel, fait violence à l’opposition de sa mère, l’invite à dîner, lui fait accepter une chambre. C’est pour vingt-quatre heures, moins peut-être. Thérèse cède, bon gré mal gré ; elle installe sous son toit, à son foyer, l’intruse, l’ennemie.

Trois semaines se passent. Venue pour un jour, Mme Allain est encore là, au bout des trois semaines, et ne donne aucun signe de départ prochain. Avec elle est entrée dans la maison, d’ordinaire assez morose, un flot de gaieté, un bruit de chansons et de rires. Offenbach a remplacé Beethoven au piano ; on plaisante, on danse, on fait mille folies. Et ce qui devait arriver, arrive. Augustin devient éperdument amoureux de Mme Allain. Et Michel Fontanet n’en devient pas éperdument amoureux, car cela n’est pas de son emploi ; mais il devient son amant… Ce qui nous étonne, c’est que Thérèse ait laissé les choses en venir là, sous ses yeux et presque de son consentement. On nous dit bien qu’elle a essayé de faire comprendre à son invitée que sa présence se prolongeait un peu trop ; elle a eu des mots amers, des allusions transparentes. Tout est resté inutile. Mme Allain a fait semblant de ne