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débat public, que je n’avais pas inventé un complot pour emporter le vote du plébiscite.

Il restait à régler la manière dont s’accomplirait le départ. Nous eussions désiré, et Maurice Richard insista particulièrement dans ce sens, que l’Empereur traversât Paris, ainsi qu’il l’avait fait en 1859. La population y comptait ; elle attendait ce moment pour faire une manifestation qui eût dépassé de beaucoup en unanimité enthousiaste celle du départ pour l’Italie. On nous objecta que le préfet de police craignait de n’être pas sûr de prévenir les accidens et de maintenir l’ordre au milieu d’un concours si extraordinaire : comme si l’ordre n’avait pas été maintenu dans des circonstances bien autrement épineuses ! L’Empereur ajouta qu’il lui répugnait d’aller à une ovation avant la victoire : comme si l’acclamation d’un peuple à son souverain qui va au champ de bataille n’était pas un encouragement plutôt qu’une ovation ! L’Impératrice invoqua l’inconvénient d’exposer le jeune prince à l’excitation nerveuse d’une telle journée : comme si celle du canon ne serait pas plus intense ! Ces mauvaises raisons étaient des subterfuges déguisant la véritable, que nous ignorions et qu’on ne nous révéla pas : l’impossibilité physique pour le commandant en chef de l’armée de supporter, même en voiture, la fatigue d’un passage à travers la capitale. Nos représentations n’eurent aucun succès. Il fut arrêté que le départ aurait lieu de Saint-Cloud, à neuf heures et demie du matin. Un convoi amené à l’extrémité du parc conduirait par le chemin de ceinture à la gare de l’Est.

Les aides de camp qui devaient accompagner le souverain, Castelnau, Lepic, Pajol, Béville, représentaient ce qu’il y avait dans l’armée française de plus loyal, de plus vaillant, de plus digne de confiance. Tous comptaient des états de service magnifiques, mais ils étaient tous plus ou moins docilement inclinés devant le prestige d’un chef qu’ils aimaient, et, par affection plus que par servilité, enclins à dire comme Pandore à son brigadier : « Majesté, vous avez raison. » Béville avait l’assentiment moins facile et la langue plus indépendante, mais son jugement manquait de sûreté ; mécontent qu’on n’eût pas suffisamment récompensé la mission importante qu’il avait remplie au coup d’Etat, de faire imprimer les proclamations du Président, il débordait d’amertume, et, pessimiste systématique, jetait le découragement autour de lui par l’exubérance de