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contemporaine, » mais dont l’objet, au lieu d’être des âmes réelles de penseurs ou de poètes, sont des âmes, en partie fictives, de mondains et de mondaines d’aujourd’hui. Ces âmes ne sont-elles pas d’une catégorie sociale bien particulière ? Il est possible, et l’on sait les trop faciles critiques qu’on n’a pas manqué, de ce chef, d’adresser aux romans de M. Bourget. « Comme j’ai placé, nous déclare-t-il lui-même avec mélancolie, comme j’ai placé plusieurs de ces études dans le monde des oisifs, afin d’avoir des « cas » plus complets, puisque c’est la classe où les gens peuvent le plus penser à leurs sentimens, j’ai dû subir tour à tour le reproche de frivolité, de snobisme, et même de dédain envers les pauvres[1] ! » La réponse est topique : c’est exactement celle qu’Octave Feuillet. — l’un des maîtres authentiques de M. Bourget, — pouvait faire à ceux qui déjà lui adressaient les mêmes reproches. Si l’on veut peindre, sous leur forme la plus raffinée et la plus actuelle, les passions de l’amour, force est bien de prendre ses sujets dans le grand monde. Seulement, est-il bien nécessaire de toujours peindre les passions de l’amour ? L’amour, — ou ce qu’on est convenu d’appeler de ce nom, et qui n’en est bien souvent que le contre-pied, — l’amour n’occupe pas dans la vie autant de place que voudraient nous le faire croire les poètes : il y a autre chose ! Et si l’on n’accepte pas entièrement le mot célèbre de Manzoni sur le danger de ces peintures passionnelles, il faut bien reconnaître qu’il y a des manières plus ou moins dangereuses de les présenter. M. Bourget a longtemps « soutenu qu’un livre de vérité n’est jamais immoral[2], » et, probablement sous l’influence du naturalisme contemporain, il a bien rarement reculé devant « certaines audaces de peinture et certaines cruautés d’analyse[3]. » N’est-il pas, sur cette pente glissante, souvent allé un peu bien loin ? N’a-t-il pas, plus d’une fois, confondu la hardiesse et la crudité ? Phèdre est une œuvre singulièrement hardie : c’est une œuvre chaste ; Phèdre, c’est la véritable « physiologie de l’amour moderne, » mais à l’usage de tous les lecteurs. Avouons qu’il n’en est pas ainsi de toutes les œuvres de M. Bourget : on ne se purifie pas toujours l’imagination à les lire ; ceux et celles, — et ils sont légion, — qui ne lisent pas des romans pour y trouver des idées

  1. Lettre autobiographique, etc., p. 14.
  2. Lettre autobiographique, etc., p. 8.
  3. Dédicace d’Un crime d’amour.