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Aujourd’hui, dans ce vent, debout sur cette crête,
Ivre et seul au milieu des cris aériens,
Bataillant par ta voix contre l’air qui t’arrête,
Chante sur les monts ombriens !

Vois ! La terre, partout, de lumière frappée,
Elève autour de toi ses aspects singuliers,
Et ton regard se heurte aux monts, comme une épée
Qui rencontre des boucliers.

Ainsi qu’on reconnaît un fauve à sa morsure,
Reconnais chaque ville à sa ligne, là-haut
Cortone, et Gubbio toujours fidèle et sûre
Où le rocher devient créneau.

L’espace illustre est plein de clameurs éperdues ;
Tous les drapeaux de l’air battent sur un couvent
Et là-bas, au-dessus des plaines épandues,
Pérouse est le trône du vent.

Et chaque mont s’inscrit et chaque roc insigne
Implante dans l’azur son profil irrité,
Et les fleuves étroits brillent, et chaque ligne
Pousse son long cri de beauté.

Le hameau qui semblait, assoupi par la brume,
Ainsi qu’un paysan vers le sol se plier,
Se dresse et tous ses toits dont l’éclat se rallume
L’équipent comme un chevalier.

On croit ouïr partout des querelles célestes,
La pierre même vibre et, seuls sur les hauteurs,
Bruyans et remuans, les arbres pleins de gestes
Sont comme un peuple d’orateurs.

Le chêne fait le bruit d’une belle sentence
Et debout, mâle et fort, sur ses rochers hautains.
Interprétant les vents dans son feuillage dense,
Il semble plein de mots latins.