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six à huit heures, elle leur appartient. Là du bec et des serres ils nettoient tout. A bon compte ils font la police sanitaire de la ville. Aussi sont-ils animaux sacrés pour l’administration et nous fallut-il l’autorisation du gouverneur pour pouvoir nous emparer de quelques spécimens vivans.

Les mœurs de Manaos et sa population, formée surtout de célibataires, font de cette ville un type de ville coloniale. Les Européens sont nombreux, surtout les Portugais, travailleurs des bois et des champs, et les Italiens en majorité bateliers et ouvriers du port. Mais Portugais et Italiens sont mélangés à la population ; les Allemands, bien groupés, ont presque le monopole commercial du caoutchouc ; les Anglais sont ingénieurs ou employés à la Banque, au télégraphe, aux Compagnies de navigation ; les Français, actifs, mais peu nombreux, sont surtout négocians ou ingénieurs. Il n’y a qu’une grande maison française d’exportation. Les nègres, qui résistent mal au climat, sont heureusement rares. Là comme ailleurs ils ne peuvent être que des travailleurs manuels de bien médiocre rapport et si, grâce à la générosité brésilienne, ce ne sont plus des parias de la société, leur mentalité inférieure permet de les considérer comme des parias de la Nature, supérieurs cependant à la race indienne.

Les Brésiliens composent le fond de la population, la classe aisée est fort nombreuse et il y a une véritable élite intellectuelle à la tête des divers mouvemens politiques ou littéraires[1].

En tant que pays latin et comme tout pays jeune, l’Amazonie a une vie politique intense, un peu trop militante peut-être. D’ailleurs, les principes soutenus par l’un et l’autre parti sont exactement les mêmes, ce qui n’est pas fait pour rendre les discussions moins âpres entre colonels et docteurs, double titre dont s’honore tout bourgeois un peu aisé.

Manaos a des défauts : le principal c’est d’être une des villes

  1. Il est difficile de prévoir l’avenir ; cependant, nous croyons que dans quelques générations, cinq ou six, il se constituera une race nord-brésilienne comme à l’heure actuelle se forme une race nord-américaine : mélange de nègres, d’Indiens et de blancs, cette race aura ses qualités, ses défauts, ses types physiques et moraux à elle. La fusion des races brassées par les émigrations, en même temps qu’elle les détruit, en forme de nouvelles : et si elles sont plus difficiles à délimiter que les descendances directes des trois fils de Noë, cela tient à leur jeunesse et aux remaniemens successifs apportés par les nouveaux courans d’émigration.