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une belle prière (pour solo et chœur), à demi déclamée et mélodique à demi, avec le mot : Seigneur ! retombant trois fois sur de nobles accords. Ceux d’entre nous qui demandent trop aux livrets en général ont fort malmené celui de M. Auge de Lassus. Ayons moins de rigueur, ou plus d’indifférence, puisqu’il suffit à M. Saint-Saëns d’un mouvement de scène quelconque, de deux groupes de choristes, Pietranera et Fabiani, entrant chacun d’un côté, pour esquisser, instrumentale et chantante, une véritable symphonie. « Tu fais cela, musiquE ! » chantait le pauvre Bordes sur des vers de Shakspeare, en un délicieux madrigal à la gloire de son art bien-aimé.

Dans les deux actes suivans de l’Ancêtre, la musique a fait encore d’autres choses, de moindre importance. Pour des raisons diverses, d’ordre récitatif, lyrique, choral, ce n’est point une chose à dédaigner que le vocero de la grand’mère. Et le musicien de l’Ancêtre, après celui d’Henry VIII, après celui de Proserpine, a voulu terminer son œuvre par un ensemble dramatique et vocal. Il y a dans Fidelio un quatuor « du pistolet. » L’Ancêtre a son quatuor « du fusil, » qui ne porte pas aussi loin tout de même. Un mot seulement sur ce dernier. M. Saint-Saëns écrivait récemment à l’un de ses admirateurs : « Dans toutes mes œuvres théâtrales, j’ai usé largement du Leitmotif ; non par caprice, mais par principe ; seulement, tandis que Wagner le met au premier plan, j’en fais le fond du tableau, laissant au premier plan la partie vocale, traitée vocalement, autant que le permet la vérité scénique. Dans Proserpine, notamment, ce système est poussé à l’extrême. » Et le maître, à la fin de sa lettre, semblait regretter qu’on n’eût point assez pris garde à cela. Qu’il se console. Le quatuor final de l’Ancêtre est fait avec le thème, transformé comme rythme, comme ton, comme accompagnement, du duetto d’amour. Et nous savons un auditeur, au moins, qui s’en est bien aperçu.

Rien à dire des interprètes de l’Ancêtre.

Si, de l’un d’eux, beaucoup de mal, trop de mal. Silence !


CAMILLE BELLAIGUE.