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sens suffit à établir que l’annexion reste un péril lointain, aujourd’hui comme hier.

Les immigrans de nationalité américaine ne constituent point des propagandistes dangereux. S’ils étaient des patriotes ardens, ils ne quitteraient pas avec autant d’empressement un pays prospère et ne signeraient pas avec autant d’entrain le serment de fidélité à Georges V. Ce flot de colons n’a aucune unité ethnique. Divers par la race et par le sang, ils se laissent facilement incorporer dans le cadre d’une organisation administrative et d’une vie politique certainement supérieures à celles des Etats-Unis. Ils ont peu à critiquer et beaucoup à admirer, Leurs libertés sont respectées. Leurs habitudes ne sont point heurtées. La langue reste la même. A peine arrivés, ils sont pris dans le tourbillon d’une féconde activité. La prospérité de la prairie canadienne constitue la meilleure garantie du loyalisme des immigrans américains. C’est pour eux, et non pour les enfans des vieilles terres européennes, héritiers de siècles lointains, pénétrés d’une vieille culture, qu’a été écrit l’adage : « Ubi bene, ibi patria. »

Si d’ailleurs la fidélité des gens de l’Ouest venait à fléchir, les gens de l’Est sauraient les rappeler au devoir. La guerre acharnée que livrent à la langue française les prêtres irlandais de l’Ontario, les efforts énergiques faits, de l’autre côté de la frontière, par les églises et les écoles américaines, pour assimiler les franco-canadiens, ont éclairé à jamais les nationalistes de Québec. Ils savent ce qui restera de leur langue et de leur civilisation, le jour où le drapeau étoile aura remplacé l’étendard écarlate sur le palais du parlement, à Ottawa. Les libertés anglaises sont nécessaires pour assurer la vitalité du peuple français de Québec. La suzeraineté britannique est pour lui une question de vie ou de mort.

Et pendant de longues années à venir, la Couronne britannique continuera à exercer, par l’intermédiaire du Foreign et du Colonial Office, sur son domaine de l’Amérique septentrionale, des droits historiques.


Mais cette autorité sera de plus en plus nominale. Il est possible que, dans un avenir lointain, des conflits surgissent entre les deux Canadas de l’Ouest et de l’Est. Il est, en tout cas, certain qu’aujourd’hui, ils ont une passion égale pour l’autonomie