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travestissement, maintenant réservé aux artistes femmes qui, là, changent de costume, pour ne point remonter dans leurs loges particulières : c’était autrefois la loge de Rachel que Gérôme nous montre drapée de vêtemens rouges ; et le tableau a reçu, je ne sais pourquoi, le surnom de parapluie ; on se donne rendez-vous, on cause sous le parapluie. Dans le grand foyer, voici Molière, Champmeslé, Adrienne Lecouvreur, Duclos, Baron, Jeanne Samary, Céline Montaland, Régnier, Lekain, Vestris, Molé, Baptiste, Delaunay, Georges, Clairon, Dangeville, Préville, Provost, Samson, les sociétaires de la Comédie en 1840 et en 1864, etc. Et voulez-vous savoir quels étaient leurs peintres, leurs sculpteurs ? Mignard, Largillière, Le Noir, Edmond Geffroy, Drolling, Lagrenée fils, Le Moyne, Feuchère, Crauk, Carolus Duran, Boldini, Edouard Dubufe… Quant au foyer du public, il est assez connu, et je ne le nommerais même pas si je ne voulais citer ce trait conté par M. Jules Claretie. Houdon, auteur de la statue de Voltaire, vivait encore en 1823, et venait souvent voir son chef-d’œuvre. Certain soir, un nouveau contrôleur lui demande son nom, ajoutant : « Vous avez vos entrées ? — Oui, répond Houdon, et désignant la statue : « Je suis le père de ce Voltaire. » Le contrôleur salue et dit : « Laissez passer M. Voltaire père ! » Le mot eut grand succès au foyer.

De 1780 à 1792, sous le Directoire, le Consulat et le premier Empire, le foyer est fort brillant. Bouilly, qui le définit « une cour plénière d’urbanité, de grâce et de bon ton, » ajoute dans son style un peu emphatique, qu’il aurait besoin, pour le peindre, « d’emprunter les crayons de l’Albane et de Callot. On eût dit le greffe général de l’Empire d’Amour. Ce foyer formait un grand salon, parfaitement éclairé, pouvant contenir trente à quarante personnes, dont chacune trouvait un siège commode ; sur chaque côté était un long canapé qu’on réservait ordinairement aux dames ; c’était sur celui du fond, en face de la porte d’entrée, que venait s’asseoir Mlle Contat, après avoir joué Célimène, Madame Evrard ou Madame Patin. »

Point ou peu de contrainte : chacun a pleine licence, pourvu qu’il amuse et ne critique pas tout haut le pouvoir ; dix tournois de causerie en même temps, tandis que passent et repassent, comme dans une redoute, les acteurs, costumés, grimés, prêts à entrer en scène, à recevoir les complimens de leurs amis. On commente gaiement le scandale d’hier, les