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salons, atteint d’une extinction de voix, fait annoncer qu’il ne pourra chanter dans l’oratorio d’Haydn. « Comment, s’étonne un grand seigneur de l’ancien régime, Garat ne chante pas ! Eh ! que vient-il donc faire ici ? — M’amuser des sots, monsieur le duc, » repart Garat furieux. M. le duc rapporte la réplique à la maîtresse de céans : « Avez-vous entendu comme, chez vous, le chanteur s’émancipe ! — Il est ici chez lui, » répond Mme Récamier. Un des principaux lieutenans de Napoléon, fils d’un aubergiste de village, mécontent, et de l’indifférence que lui témoignait Juliette, et des égards qu’elle accordait aux gens de lettres, s’exclama brutalement : « Si j’étais l’Empereur, je ne voudrais pas qu’un homme de lettres eût au-delà de douze cents francs de rente, et demeurât plus bas que le quatrième. » Cette sortie étonne la compagnie, on se tait, on se regarde en silence ; enfin un littérateur, célèbre et respecté de tous, prend la parole. « Vous ne voulez pas, général, que nous demeurions plus bas que le quatrième ? — Non. — Serait-ce pour nous tenir éloignés de l’écurie où vous avez fait vos premières armes ?… Quant aux douze, cents livres de rente, nous n’y souscrirons, mes confrères et moi, qu’à la condition expresse qu’au champ d’honneur, les aides de camp de Napoléon n’auront que la paye de grenadier, et l’eau-de-vie à discrétion pour aller au feu. »Le général pâlit de colère, ‘et d’un ton menaçant : « La paye de grenadier n’a rien d’humiliant ; mais l’eau-de-vie à discrétion est un peu dure à digérer. » Des amis s’interposent entre les deux champions, s’efforcent de les calmer ; l’homme de lettres, cependant, s’avance et, avec force : « Général, je n’ai rien pu trouver qui vous exprimât mieux mon juste ressentiment : je tâcherai de mettre, une autre fois, plus d’énergie à défendre mes camarades. » Surpris, touché de cette attitude, comprenant enfin qu’il n’avait pas le beau rôle, l’autre répondit : « Je ne crois pas être soupçonné de vouloir éviter une affaire d’honneur ; mais je suis forcé d’avouer que j’ai eu tort. — Tout est oublié, général ; et vous me forcez moi-même au repentir. — Touchez là, monsieur ; je suis enchanté de trouver en vous un brave. — Moi, général ! Je ne suis qu’un homme de lettres. »

Vivant dans l’intimité de Grétry, Douilly savait par lui beaucoup de détails, et par exemple, l’amitié de son futur beau-père pour Sedaine dont l’élection à l’Académie française avait irrité les infatués de noblesse. Songez donc ! un homme qu’on