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Ainsi sont nées ces très belles œuvres, toujours un peu pareilles les unes aux autres, mais chacune en soi très variée, ce qui suffit : Daniel Cortis, Petit monde d’autrefois, Petit monde d’aujourd’hui, le Saint, Leila.

Daniel Cortis… mais je le réserve, comme étant pour moi le chef-d’œuvre, comme à la fois résumant Fogazzaro et le montrant sur son sommet, et comme celui qui aurait dû être écrit le dernier, si Némésis permettait que notre vie littéraire et intellectuelle fût une ascension.

Le Petit monde d’autrefois est une peinture de l’Italie à la veille de 1859. Ces Lombards et ces Vénitiens sont certainement dignes de devenir ce qu’ils désirent être, des citoyens. Ils sont bons, probes, de sentimens élevés ; mais ils sont faibles, ou plutôt intermittens ; ils ont des accès d’abandonnement et des crises de vertu. Franco voudrait bien au fond, — mais où est le fond ? — enfin il voudrait bien, le plus souvent, cultiver ses fleurs chéries, faire de la musique et ramer doucement sur son lac ; cela ne l’empêche pas d’être un peu conspirateur, à ses momens, de respirer l’Italie libre, et enfin, quand sonne l’heure, de donner de sa personne à Palestro et à Magenta. Très religieux, plus que sa femme, nous reviendrons là-dessus, très patriote, très idéaliste et perdant l’héritage plantureux de sa grand’mère plutôt que de perdre sa dignité, mais nonchalant, voluptueux et artiste ; le portrait, et qui est fait, comme par sympathie pour le modèle, avec une apparente nonchalance qui est du meilleur goût, est un des mieux venus de toute l’œuvre de Fogazzaro. Il doit être vrai ; après tout, il ne m’importe point ; il est charmant, captivant à souhait.

Pierre Maironi du Petit monde d’aujourd’hui est le fils de Franco. Il y paraît, un peu, point beaucoup. Pierre Maironi est encore sensible aux attraits de la volupté ; mais il a hérité surtout les sentimens religieux de son père. Le sentiment religieux est devenu chez lui… beaucoup de choses, mais particulièrement, mais singulièrement, la soif de la pureté. Or cette aspiration combattue par une sensualité latente fait la beauté tragique de ce roman le plus troublant et peut-être aussi le plus trouble qu’ait écrit Fogazzaro. Pierre a épousé sa cousine Elise ; très peu de temps après son mariage, elle est devenu folle, incurablement croit-on. Pierre est aimé d’une jeune femme très distinguée et de très grand cœur, Jeanne, qui vit séparée de