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remontent très loin dans les terres. En ce cas, une partie des leurs suit les bords à pied ou à cheval. Chaque bateau a un assortiment de rouleaux pour le cas où il faudrait le traîner, comme il arriva pour ceux qui contournèrent Paris, afin de gagner la haute Seine et la Bourgogne. Tout cela est parfaitement organisé. Les Normands savent se diriger et s’orienter. Dans une saga, un fiancé qui veut se faire valoir, se vante de savoir chanter, patiner, nager et appeler toutes les étoiles par leur nom.

Nul ne croit plus d’ailleurs que les Normands fussent de pauvres barbares, vêtus de peaux de bêtes, incapables d’autre chose que de détruire. On a retrouvé dans leurs tombeaux de fines étoffes de soie brochées d’or, des bijoux ornés de dragons et de serpens d’un style original. Leurs armes, et même le harnachement de leurs chevaux, prouvent qu’ils savaient fort bien travailler le fer dont le minerai abonde en Suède. D’autre part, ils avaient des relations avec Constantinople : on a retrouvé dans un tombeau un vase avec inscription grecque. Au point de vue militaire, Viollet-le-Duc n’hésite pas à dire qu’ils étaient « beaucoup plus avancés qu’on ne l’était dans les Gaules. Ils savaient se fortifier, se garder, approvisionner et munir leurs camps d’hiver. » L’art des sièges même ne leur était pas inconnu : nous les voyons au siège de Paris construire toute espèce de machines de guerre.

Il fut manifeste de bonne heure qu’on ne pourrait pas se débarrasser des Normands par la force. Le sentiment de l’autorité et le courage militaire avaient promptement décliné après Charlemagne. Personne n’obéit à ses faibles successeurs, qui de plus sont en état perpétuel de guerre civile. Faut-il donner l’assaut au moindre retranchement, tout le monde se dérobe. Sans croire que la sanglante bataille de Fontanet (Fontenoy-en-Puisaye) avait réellement dépeuplé le pays, il semble bien qu’elle l’avait démoralisé. Chacun ne songe qu’à soi : tout plan de défense générale échoue devant l’indifférence ou la trahison. Un Pépin II d’Aquitaine, arrière-petit-fils du grand empereur, s’unit aux pirates pour piller Poitiers. Charles le Chauve est abandonné par ses hommes au siège d’Oscelle : on coupe même les câbles qui rattachaient son vaisseau aux autres pour qu’il aille à la dérive tomber entre les mains de l’ennemi. Si une victoire est remportée, elle n’a pas de lendemain. Ainsi Louis III, après