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Aphètes, située au Nord de l'Eubée et désignée ainsi, au dire d'Hérodote, parce que les Grecs, assemblés contre les barbares, devaient en ce point lever l'ancre. Il est probable qu'Aphaïa fut, en son temps, une divinité de marins, la protectrice des départs, la déesse de la minute où l'on enlève les amarres pour s'élancer vers la mer et ses voyages.

Le sanctuaire d'Aphaïa, qui datait du vie siècle, fut détruit. Après Salamine, où les Éginètes avaient eu leur rôle, et glorieux, on rebâtit le temple, celui dont subsistent les colonnes, les architraves et, à Munich, les frontons. On le dédia, comme l'autre, à la déesse Aphaïa. Seulement, dès cette époque, et en dépit de la brève entente que la menace des barbares avait favorisée, les Athéniens étaient jaloux des Éginètes, inquiets de leur puissance navale et de leur entregent. Les Éginètes se méfièrent.

Bref, la déesse indigène, déesse des audacieux navigateurs, Aphaïa des départs fut soudain remplacée, au temple d'Égine, par une autre divinité, qui ne devait porter nul ombrage aux Athéniens, Athèna. Et je ne sais ce qu'Aphaïa put en penser. Les Éginètes ne le surent pas davantage. À tout hasard, ils se félicitèrent d'avoir agi avec prudence, et voire avec malice.

Il est possible que je me trompe, — et, après tout, maintes erreurs sont les détours qui mènent cependant à la vérité ; — il me semble que j'aperçois, aux frontons qui ornaient le temple d'Égine, quelque chose de tout cela et, si l'on peut dire, la gaieté d'avoir été circonspect, un peu de moquerie ou, si le mot paraît excessif, du badinage autour de la crédulité athé- nienne, autour du stratagème réussi, autour de la facilité des dieux, leur mansuétude acceptant les péripéties, les feintes et les indispensables artifices.

Gens de négoce et d'aventure, méditerranéens subtils, ce n'étaient pas, ces Éginètes, des mystiques. Et non plus, ils n'allaient pas jusqu'à l'impiété : ils aimaient beaucoup trop les légendes et les histoires qui, dans les ports, arrivent de partout avec les cargaisons, pour mépriser les anecdotes qui composent l'individualité des dieux. Mais ils avaient aussi cette gentille familiarité, cette cordiale bonhomie qui fait que, sans pénible scrupule, on relègue, si les circonstances le veulent, une ancienne Aphaïa et l'on accueille une Athèna nouvelle et, somme toute, l'on sourit. Les artistes éginètes, maîtres des