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« Pas de sous, répète l’indigène obstiné. — Alors, va-t’en, tu iras à pied, » riposte la voix derrière le guichet. L’indigène rentre la main sous ses draperies, sort deux sous, quatre sous. Ce n’est pas le compte. L’Arabe proteste : il se déclare complètement dépouillé. La voix du roumi s’impatiente. Nouvelle incursion sous le burnous. Enfin le compte y est, mais au prix de quelles difficultés !

Voici un autre client, le colon français ; mais il y a plusieurs variétés de colons, trois pour le moins.

Le colon du Nord-Tunisien, des plaines à céréales de Mateur et d’Utique, du Cap Bon et de Téboursouk, est souvent titré, pourvu de la particule et d’un nom historiquement français. Un peu sans doute par atavisme féodal, il a édifié sa demeure cubique et blanche, castel, ferme ou cottage, sur la seule éminence dont s’égaie la plaine avoisinante. Les feuilles pansues du cactus, le laurier-rose et l’olivier sauvage mettent à l’entour un étroit cercle vert. À trois kilomètres, il y a le chemin de fer, à dix kilomètres le voisin. Gentleman-farmer d’allure, le colon du Nord-Tunisien a déjà eu le temps de faire souche. Le pluriel « les » précède souvent son nom de famille, indiquant que la race prospère, s’implante. Plus novateur en agriculture qu’en politique, il forme le « parti colon, » notoire par son esprit conservateur.

Le colon du Centre ou du Sud-Tunisien a quelquefois des attaches avec notre monde parlementaire ou, ce qui étonne plus, académique. C’est assez dire qu’il réside rarement sur ses terres. Mais sénateur ou ministre en même temps que propriétaire d’olivettes, viticulteur ou alfatier, les grands intérêts du pays exigent sa venue périodique sur la terre tunisienne. Français ou Tunisien, il ressuscite au reste par ses efforts suivis l’immense forêt d’oliviers de la Province romaine d’Afrique. Tel recommandera à son gérant, afin de ne point fatiguer la terre, l’usage de la charrue arabe, coutre sommaire que les paysans de l’ancienne France eussent dédaigné ; mais il n’est pas prouvé que ce colon-là réussisse moins bien que celui de la première espèce, dont les machines aratoires sont aristocratiquement perfectionnées.

Une troisième sorte, qu’il faut mentionner pour mémoire, n’est pas la moins curieuse. La famille française de bonne bourgeoisie qu’inquiète la nonchalance de son fils adolescent,