Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans aucune autre région, — sauf peut-être en Pologne, le pays de l’Europe qui, à bien des égards, ressemble le plus à notre Armorique, — les « légendes de la mort » n’ont fleuri plus abondantes, plus douloureuses, plus naïvement terrifiantes. Et aujourd’hui, quand on lit les curieux ouvrages où on les a rassemblées, au frisson involontaire dont elles nous secouent encore, on se rend compte de la puissance de suggestion qu’elles doivent exercer sur des âmes simples, incultes, et qui si fréquemment, sur les côtes, sont aux prises avec les tragiques réalités de la mort.

« La mort, a écrit Schopenhauer répétant Platon, est le génie inspirateur de la philosophie : » la pensée de la mort est, à tout le moins, une grande préceptrice d’idéalisme. L’homme ne chercherait pas le sens de la vie, s’il ne savait qu’il doit mourir, et s’il ne voyait pas mourir autour de lui ; et la mort ne serait pas ce qu’elle est, « le roi des épouvantemens, » si elle n’écartait pas impérieusement, d’un simple geste, les solutions superficielles et illusoires, le mensonge des mots qui trompent et qui n’expliquent pas. « Il faut parier : nous sommes embarqués ; » et, quand le port est en vue, on n’a que faire des cartes fausses ou des dés pipés. Dans ces dispositions d’esprit et d’âme, on s’aperçoit bien vite que la vie n’a pas de sens en elle-même et que, puisqu’il faut parier, seuls les paris dont l’enjeu est en dehors d’elle ont chance de n’être pas vains. Ainsi l’on est conduit à construire, au-delà et au-dessus de la vie présente et soi-disant réelle, tout un monde de pensées, de rêves peut-être, et d’espérances, où l’âme froissée et meurtrie se réfugiera avec délices pour échapper à l’étreinte de la brutale réalité. L’âme bretonne est ainsi faite que ce monde idéal lui paraît plus réel et plus vrai que l’univers sensible, et qu’elle l’habite plus volontiers. Renan a écrit des pages charmantes et profondes sur cette passion d’idéalisme, sur ce goût de l’aventure, sur ce besoin irrésistible de fuir le réel, et de courir « sans fin après l’objet toujours fuyant du désir » qui caractérise si bien la race celtique. « Cette race, dit-il admirablement, veut l’infini ; elle en a soif, elle le poursuit à tout prix, au-delà de la tombe, au-delà de l’enfer. » « Terre de Bretagne, s’écrie un autre poète, E. -M. de Vogué, terre de Bretagne qui finis le vieux monde et d’où il regarde le nouveau, marche mystérieuse placée au seuil de l’infini, quel est donc ton secret pour former des enfans qui, plus que tous les