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l’on n’est plus dupe de son petit manège. La succession des jours et des nuits renouvelle incessamment pour lui des alternances très nettes et des successions très marquées. Il arrive ainsi à comprendre très tôt le sens des mois « hier » et « demain, » qui désignent le temps avant et le temps après le sommeil de la nuit. Mais c’est le premier qu’il saisit le mieux, car du passé il a une expérience acquise, et, pour l’avenir, il a une grande hâte d’anticipation. C’est pourquoi une autre petite fille, un peu plus âgée, il est vrai, voulait désigner un temps dont le prolongement rétrospectif se perdait un peu dans les détours et dans les confusions de sa mémoire, et elle savait se satisfaire en disant : « C’était hier, hier, hier ! » L’expression m’a toujours paru l’un des meilleurs exemples de ce que l’imagination expressive des enfans a d’initiative, je dirai même d’invention logique et rationnelle.

Beaucoup de ceux qui étudient l’enfant croient devoir adopter pour la suite de leurs recherches l’ordre même que les psychologies classiques introduisent dans la suite de leurs études : perception, jugement, mémoire, association des idées, raisonnement. Il me paraît plus intéressant de suivre avant tout l’enfant dans les manifestations les plus visibles de sa propre activité. Après le langage, qui le met en communication continuelle avec nous et avec la nature, vient le jeu. Nous savons tous à quel point cet ordre de manifestations est riche en intentions, en idées, en sentimens et en efforts de toute sorte ; et cette complexité même a toujours paru aux observateurs et aux moralistes (témoin La Bruyère) ce qu’il y avait de plus caractéristique à noter dans la vie de l’enfant.

On a assez répété, Dieu merci ! que l’art est un jeu. On pourrait retourner la proposition et dire que le jeu est un art, ou peut en être un. Le jeu de l’enfant a de la peine à être autre chose qu’un art rudimentaire et même très grossier, là où les moyens d’exécution lui manquent. Des observateurs à la recherche de sujets nouveaux ont écrit sur les dessins des enfans. Il est certain que ceux-ci aiment de très bonne heure à « barbouiller » et qu’il n’est pas de père de famille qui n’ait besoin de cacher ses crayons ou de les renouveler souvent, dès que les petites tailles atteignent seulement la hauteur de son bureau. Les mains qui courent alors sur le papier font ce qu’elles