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s’embarqua, à peine guéri, pour l’Angleterre : il arriva à Londres le 21 mai 1703.


III

A travers tous ces événemens et toutes ces misères, nous voudrions, pour retrouver la succession réelle de ses dispositions morales, pouvoir user d’une autre source que celle des tardifs Mémoires d’Outre-Tombe. Mais la correspondance de Chateaubriand qui, en fait, ne dut pas être alors très active, présente ici, pour plusieurs années, une lacune probablement irrémédiable[1]. Et, d’autre part, nous pouvons affirmer que son Voyage en Amérique et ses Natchez sont assez loin de reproduire avec une suffisante exactitude ce manuscrit primitif et mystérieux, toujours perdu et toujours retrouvé[2], qu’il écrivait « parmi les sauvages mêmes, » et qu’il corrigeait plus tard au milieu des ruines de Trêves ; et, dès lors, nous perdons le droit d’y chercher exclusivement la trace de ses divers états d’âme. A tout prendre, c’est peut-être dans les Mémoires que nous saisirons le mieux l’écho, lointain sans doute, et un peu poétisé ou transposé, mais le plus fidèle encore de ses impressions de voyageur et de soldat.

Et, bien entendu, il faut y joindre les ouvrages imprimés de Chateaubriand, dont l’idée première, sinon la rédaction définitive, date de cette époque. Voici ce qui paraît le plus vraisemblable à cet égard. « Très jeune encore, » — c’est-à-dire, apparemment, pendant son séjour à Paris, et, ce semble, sous l’influence de Rousseau et de Marmontel, — « il conçoit l’idée de faire l’épopée de l’homme de la nature : » le sujet des Natchez lui paraissant particulièrement heureux, « il jette quelques fragmens de cet ouvrage sur le papier ; » mais, les « vraies couleurs » venant à lui manquer, il va les chercher dans « les solitudes américaines. » Et c’est alors, selon toute probabilité, qu’il commence ce vaste manuscrit, — « le manuscrit tout à fait

  1. Je ne compte pas la Lettre écrite de chez les Sauvages du Niagara (Voyages, Œuvres, éd. Ladvocat, t. VI, p. 51-56), qui pourrait bien n’avoir été ni envoyée, ni même écrite en 1791.
  2. On s’est montré assez souvent un peu sceptique en ce qui concerne les conditions dans lesquelles ce fameux manuscrit aurait été retrouvé sous la Restauration. De différentes notes parues au cours de ces dernières années dans la Revue d’histoire littéraire de la France, il semble bien résulter, d’ores et déjà, que ce sont les sceptiques qui ont tort.