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idées de leur temps. Ce sont la Théorie du Pouvoir, de Bonald, et les Considérations sur la France, de Joseph de Maistre[1].

S’il est un homme qui n’ait guère évolué dans sa vie, et qui soit déjà tout entier dans son premier livre, c’est bien cet adversaire né de l’évolution, cet admirateur de « M. Bossuet » qui s’appelle M. de Bonald. Les idées, ou plutôt l’idée qu’il professe dans cet ouvrage, il semble l’avoir eue de toute éternité : et cette idée, c’est que le salut non seulement de la France, mais des sociétés modernes est dans le retour aux principes monarchiques et surtout catholiques[2]. Du moins, cette idée, la Révolution, en le créant écrivain, lui en a fait prendre plus fortement conscience. A la lumière des événemens contemporains, il a compris plus nettement que le Chateaubriand de l’Essai l’excellence et la nécessité sociale de la religion. « Première loi fondamentale des sociétés civiles, écrit-il, RELIGION PUBLIQUE[3], » — c’est lui qui souligne ainsi ; — et toute la seconde partie de son livre est une véritable et fort curieuse apologétique sociale du christianisme. « D’autres, dit-il, ont défendu la religion de l’homme ; je défends la religion de la société[4]. Et il tient parole. S’il est vrai, comme le prétend le fils de Bonald, que Bonaparte ait reçu la Théorie du Pouvoir, et qu’il l’ait lue avec attention, la leçon ne dut pas être perdue pour le futur négociateur du Concordat[5].

  1. Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile démontrée par le raisonnement et par l’histoire, par M. de B***, gentilhomme français, 1796, 3 vol. in-8 (s. 1.) ; — Considérations sur la France, Londres [Bâle], 1796, in-8 ; IV-242 p.
  2. Je dis surtout ; car si déjà, dans la Théorie, Bonald opère la fâcheuse alliance, et qu’on lui a si souvent reprochée, « du trône et de l’autel, » — au point qu’il ne craint pas d’écrire : « Telle est en peu de mots la marche, et l’analyse de mes preuves de la nécessité, ou, ce qui est la même chose, de la divinité de la religion chrétienne, et de la nécessité, oserais-je dire, de la divinité du gouvernement monarchique, » (t. II, p. 480), — néanmoins, sentant peut-être obscurément le danger de cette confusion, il fait ailleurs ce précieux aveu : « La religion, sans la constitution politique, peut conserver un peuple, et la constitution politique sans la religion ne peut défendre la société. » (t. I, p. 60).
  3. Théorie, t. I, p. 49. Voyez d’autres vigoureuses formules de la même pensée, p. 64, 249, 250, etc., et à la fin du tome II, une intéressante réfutation de l’Esquisse de Condorcet.
  4. Théorie, t. II, p. 5. Ailleurs, Bonald parle d’ « une démonstration de l’existence de Dieu, d’une évidence sociale, si j’ose, ajoute-t-il, me servir de cette expression. » (t. I, p. 56-57).
  5. Notice, etc., au t. VIII, p. 455 des Œuvres de Bonald, 4e éd., Bruxelles, 1843 : cette édition est la meilleure des Œuvres complètes ; on y a réimprimé la Théorie aux t. III et IV. — Cf. l’Allocution de Bonaparte aux curés de Milan (5 juin 1800) : « Nulle société ne peut exister sans morale, et il n’y a pas de bonne morale sans religion. Il n’y a donc que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable. Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole… La France, instruite par ses malheurs, a enfin rouvert les yeux, elle a reconnu que la religion catholique était comme une ancre qui pouvait seule la fixer dans ses agitations. »