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critique, M. Édouard Schuré tente l’escalade de l’au-delà. Il ne se sert de l’art que pour donner du corps à ce qui est trop abstrait dans sa doctrine et pour rendre le mythe visible aux foules. Dans cette conception, quelque peu superbe, où il admet que l’intelligence de l’homme peut être la mesure du divin, il rencontre fatalement devant soi Lucifer, l’archange déchu, qui prétendit « savoir, » et par là s’égaler à Dieu.

Cette disposition d’esprit a rallié à Édouard Schuré une catégorie de jeunes gens qui, vers 1885, se paraient, comme d’un titre, de l’épithète de décadens. Sans doute ces disciples de rencontre ne songeaient pas à devenir des théosophes comme le Maître, ils regrettaient seulement que le positivisme ambiant eût si délibérément écarté du champ de la pensée les choses divines. Si l’on ne croit pas en Dieu, on ne saurait invoquer Satan et, sans Satan, il est impossible d’être satanique — ce qui fut, un moment, la manière d’être la plus essentielle du poète décadent,

M. Édouard Schuré plane d’un vol miltonien au-dessus de ces insincérités. Pour lui, « Lucifer, » c’est l’esprit de critique opposé à l’esprit dogmatique ; c’est la figure biblique de ce Prométhée grec, qui voulut dérober au ciel le secret du feu, — c’est-à-dire le secret de la vie, — afin de le porter aux hommes. M. Schuré a enchâssé ces conceptions philosophiques dans un poème, parfois hermétique, mais d’une envolée lyrique constamment soutenue et qui est comme le testament de sa pensée : L’âme des temps nouveaux.

Dans le tourbillon des formes infinies dont il épie la giration, son héros, Lucifer, distingue « l’Eve première, luisante de candeur, » la « divine Psyché. » Elle monte vers le chœur des archanges qui l’appellent et la guident, mais une voix s’élève qui l’arrête dans son ascension. Celui qui parle, c’est Lucifer :


Je suis Archange aussi, mais l’Archange maudit,
Car j’ai voulu créer par moi seul, pour moi-même,
Comme le Tout-Puissant,
……………… ce fut là mon blasphème
Et mon crime sans nom. Donc, tous ils m’ont honni…
… Mon globe est un royaume affreux, nu, solitaire
Que travaille mon feu. Je l’ai nommé : la Terre…
… Chef-d’œuvre d’Eloa, toi, sa fille dernière.
Si tu m’aimes, crois-moi, l’univers est à nous !…