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On sent ici, jusque dans le débat de raison par lequel le poème se dénoue, les habitudes d’une pensée façonnée à l’école de la critique germanique.

Au contraire, l’hérédité celtique, qui est une part si importante de l’âme totale de la France, trouve, dans M. Louis Le Cardonnel, une de ses expressions les plus complètes. Lui aussi il a toujours été tourmenté par les problèmes éternels. Au temps même où il était le plus abandonné aux élans de la jeunesse, un goût mystique de l’idée, un invincible besoin de chercher l’invisible au delà des réalités des sens, lui hantait l’âme. Puis, au lendemain de la mort de la très pure Égérie, qui voulut orienter sa fougue vers les choses divines, le poète ne vécut plus que pour le rêve d’un Paradis où, affranchi des tyrannies et des luttes de tout ce qui vient d’en bas, il aurait le droit de se donner entier à un éternel amour :


Ah ! ne plus tressaillir d’une joie inquiète,
Qui, sitôt qu’elle naît, sent qu’elle va mourir ;
S’enivrer d’un bonheur sûr de toujours fleurir !
vous, profonds regards qui n’êtes pas mensonge,
Tendresses dont l’ardeur s’enveloppe de songe,
Cheveux qui vous mêlez, vous étiez leur espoir.
Et Dieu leur a donné l’éternité du soir
Dans cette région solennellement douce ;
Regardez : c’est toujours la sommeillante mousse.
Toujours la chute d’ombre et ses enchantemens,
Et ce lever brûlant d’étoile !…


Mais le Paradis est encore un but trop lointain pour les vœux de cette jeunesse débordante de force et de pensée. En attendant les joies, promises à l’éternel repos, il faut à M. Le Cardonnel l’emploi de son activité d’âme. Soudain, il abandonne les salons, les cénacles littéraires, puis disparaît. Il court à Rome s’enfermer au séminaire. On apprend que sa vocation est définitive. Celui que ses amis de jadis avaient baptisé en souriant, « l’aumônier du symbolisme » vient d’être nommé vicaire dans une paroisse du diocèse de Valence. L’Église veut éprouver dans le silence ces vœux qui lui viennent tardivement et de biais.

Neuf années passent avant que le poète soit autorisé à publier de nouveaux vers. À leur facture lumineuse et large, nettement classique, noblement apaisée, on sent que l’abbé Louis Le Cardonnel