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Citerons-nous aussi, au deuxième acte, la mise en scène bruyante de la « popine » dans le quartier de Suburre, la gaité populacière et gloutonne des buveurs, les hoquets, les gros mots, les coups de gueule et les coups de poing, et, dans une salle voisine, les plaintes des gueux affamés ou infirmes que tout à l’heure l’apôtre chrétien viendra consoler ? Il y a là comme une suite de gravures, franches et nettes, vraies par le ton de l’ensemble et par la plupart des particularités, où visiblement s’est complu un bon érudit bien documenté sur les bas-fonds de Rome.

Peut-être y a-t-il même quelque excès en ce sens : pour apprécier ces petites scènes, il faut être, comme l’auteur, passablement au courant des données de l’érudition. Une connaissance sommaire des mœurs antiques, telle qu’elle se rencontre chez beaucoup d’esprits cultivés, ne suffit ni pour bien juger du mérite des descriptions de M. Richepin, ni pour pénétrer le sens de tout ce qu’elles contiennent.


Il faut, pour les comprendre, avoir fait ses études,


des études assez spéciales même, et poussées assez loin. En outre, de cette humanité grouillante, le poète ne nous rend guère que l’extérieur : nous voyons bien ce que mangent ces gens-là et ce qu’ils boivent, comment ils se divertissent et comment ils se battent, nous savons moins bien ce qu’ils peuvent être en leur tréfond. Au surplus, M. Richepin ne nous retient pas fort longtemps en leur compagnie. La peinture de la vie plébéienne n’a dans sa pensée qu’une valeur épisodique : très développée, très circonstanciée surtout, tant que le drame n’est pas noué, elle s’atténue aussitôt que l’action capitale s’engage, et il ne reste plus que les protagonistes, les deux chrétiens Johannès et Aruns, la patricienne Flammeola et le philosophe Zythophanès.

De ceux-ci la vérité historique mérite davantage d’être discutée. Une chose notamment est très bien vue : c’est l’antithèse, personnifiée dans Aruns et Johannès, entre deux groupes ou deux familles d’esprits chrétiens, les forts et les doux, les violens et les tendres. Cette opposition a existé en fait dans les premiers siècles de l’Eglise, comme toujours et comme partout : les noms de Tertullien et de saint Cyprien, si l’on veut, peuvent symboliser les deux tendances contraires et coexistantes. Aruns