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une seconde fois, le 12 mars 1817, sur un ton d’affectueuse sympathie. Et Giacomo, touché, lui ouvrit tout son cœur.

Les belles, les tristes lettres qu’il lui envoie ! si simples et si passionnées ! si amères et si touchantes ! si pleines de cette tendresse offerte, que ceux qui l’entouraient ne voulaient pas recueillir ! et, pour qui suit les phases de la crise qu’il traverse, si curieuses ! Un point demeure fixe : l’amour de la gloire. La passion n’a pas changé depuis les jours de sa première enfance, elle est seulement devenue plus consciente et plus certaine. C’est elle, avoue-t-il, qui le rattache à l’existence ; si par impossible sa vie se prolonge, il la consacrera aux belles-lettres, maîtresses de renommée. Giordani ne peut lui faire de plaisir plus sensible, qu’en lui déclarant qu’il voit dans sa personne le parfait écrivain que l’Italie réclame. Mais pour tout le reste, le rebelle apparaît. Il est rebelle à la vie qu’il mène ; il hait Recanati de toutes ses forces, farouchement, obstinément. Air malsain, habitans grossiers, mœurs barbares, tout se réunit pour faire de la ville un objet d’horreur. Personne pour l’apprécier, ou seulement pour le comprendre : c’est le règne de la bêtise et de la stupidité. Il est excédé ; il étouffe dans cette atmosphère pesante ; il veut partir, ou, pour mieux dire, s’évader. Il est rebelle aux croyances politiques de son père. « Ma patrie est l’Italie ; et pour elle, je brûle d’amour, remerciant le ciel de m’avoir fait Italien… » Qu’on se rappelle, après cette formule, ce qu’il écrivait deux ans plus tôt contre Murat : et qu’on mesure ainsi le chemin parcouru. Il n’est pas encore ouvertement rebelle à la religion : mais il commence à s’éloigner d’elle. Il a pris un parti qu’il n’abandonnera plus : celui de renoncer à la carrière ecclésiastique, celui de déposer, aussitôt qu’il le pourra, l’habit de prêtre. Certes, on ne saurait dire qu’il entende, du même coup, rejeter la foi. Mais songeons aux habitudes prises, à toute son enfance consacrée aux fonctions du sacerdoce, aux vues de sa famille, aux espérances qu’il avait lui-même conçues : et reconnaissons l’importance d’une telle renonciation

Il n’a pas encore dit son dernier mot ; il ne s’est pas encore livré jusqu’au fond de son être : Giordani, qui le sent, le presse d’achever sa confidence. Giacomo parle de sa « très malheureuse et horrible vie. » Pourquoi ? quelles raisons un enfant de dix-neuf ans a-t-il de tenir un pareil langage ? Qu’il s’explique ! Nous sommes à la source première du pessimisme léopardien,