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Ainsi au caractère paisible d’une nature riche et comme humanisée, succède peu à peu le caractère grandiose d’une nature demeurée farouche.

De l’autre côté, à l’Orient, la mer. Entre le monstrueux rocher d’Ancône que les gens du pays comparent à une baleine prête à se jeter dans les vagues, et les contreforts des montagnes,, apparaît la large trouée de l’Adriatique. La plaine s’étend paresseusement vers la plage, en s’attardant autour de Lorette, orgueilleuse de son dôme. Par les temps clairs, on peut apercevoir, au delà du détroit, la Dalmatie. Ces flots, ces voiles, ces terres étrangères entrevues par momens, tout ce mystère des lointains, n’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour donner aux adolescens qui rêvent le goût des départs et la nostalgie de l’infini ?

Chose étrange, au milieu de ce paysage heureux, la ville est triste. Entourée de murs et de bastions comme une place forte qui défierait l’ennemi, resserrée sur le plateau qui coupe le sommet de la colline et sur ses éperons, elle est formée presque tout entière d’une longue rue étroite, qui semble changer de direction par caprice. Sa physionomie, — si les lieux ont une physionomie comme les hommes, — est plutôt revêche qu’austère. Elle offre l’aspect des grands bourgs qui ont été jadis très prospères, et qu’un brusque déplacement du commerce européen a ruinés. On se souvenait encore, du temps de Monaldo, de ces marchés immenses, qui de leurs provinces lointaines attiraient tant d’étrangers, voire les Bourguignons et les Flamands. Mais on savait aussi qu’ils avaient cessé de venir ; que Lorette, devenue tout à coup célèbre par miracle, avait voulu son indépendance et s’était détachée de la cité : et que c’était vers elle que les longues théories des pèlerins se dirigeaient maintenant. Aussi le visiteur cherche-t-il en vain, dans la cité déchue, ce pittoresque qu’il est habitué à trouver dans les petites villes italiennes. Les maisons, bâties de briques rougeâtres ou grisâtres, sans style et sans art, manquent de caractère. Ni harmonie, ni paradoxe ; ni coquetterie, ni grandeur.

Cependant on marche ici au milieu des souvenirs ; et la tristesse ou la banalité des choses, loin de nuire à l’émotion, l’augmentent. Voici la petite église de Montemorello, où Giacomo fut baptisé, où il servit la messe, où il brûla l’encens. Voici l’église des Capucins, toute proche : quelques-unes des nobles