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tranchées leurs costumes aux couleurs vives, et leurs complaisances de Judiths débonnaires augmentaient leurs bénéfices avouables de blanchisseuses d’occasion. Des jeunes gens aux vêtemens propres, à la chevelure soignée, offraient des cartes postales et leurs services de guides avertis. Leur empressement, leur expérience et leur connaissance du français étaient d’ailleurs nécessaires pour la visite d’une ville dont les cartes les mieux faites ne parviennent pas à débrouiller le labyrinthe déconcertant.

Isolément ou par groupes sympathiques, revolver à la ceinture, les officiers couraient vers Fez, croisant les corvées d’ordi- naire dont les arrabas grinçantes et les mulets de bât soulevaient des flots de poussière malodorante. Deux voies principales se présentent : l’une longe le vieux Méchouar pour aboutir à la porte Bab-Segma, d’où l’on pouvait encore voir, au milieu des tentes de la mehallah, la « frague » impériale dressée comme pour un départ guerrier ; l’autre traverse les jardins du Sultan, le ravin de l’oued Fez et monte vers la Bab-Jiaf. Les spectacles de la route se déroulent identiques. Ce sont des caïds montés sur des mules dociles ou des chevaux fringans caparaçonnés de rouge, escortés de serviteurs méprisans qui toisent au passage les officiers et sous-officiers que leur grade ou leur arme condamne à circuler à pied comme les esclaves et les manans ; ce sont des propriétaires cossus, des cultivateurs aisés qui passent à l’amble de leurs montures, le regard vague, la mâchoire contractée, la physionomie énigmatique et dure, et leur indifférence semble pire qu’un outrage. Quelques-uns, cependant, sans doute venus de loin, considèrent avec estime les guerriers roumis qui ont été plus forts que les tribus, et les saluent d’une inclination de tête, la main sur le cœur, en proférant le « Salam aleikoum » traditionnel. Des paysans, suivis de femmes sales et voilées, poussent leurs petits ânes chargés d’énormes paniers qu’ils vont vider dans les échoppes de la ville. Dans les bois impériaux, ouverts à tout venant, mais dont les consignes interdisent l’accès aux militaires qui pourraient y trouver du combustible, des bûcherons improvisés coupent impunément arbres et branchages que des accapareurs juifs vont revendre fort cher à l’Intendance. Au pied des remparts, des chapelets de chameaux et de chevaux s’entassent en paix, protégés par l’incurie et le fatalisme musulmans.

Dans la ville juive, le Fez-Jedid, comme dans la ville arabe,