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derrière elles, comme pour nous inviter à l’applaudir, ou parfois encore pour railler doucement notre crédulité !

Mais je dois ajouter que, railleuse ou non à notre endroit, cette figure elle-même de W. M. Thackeray nous émeut et nous charme plus encore, peut-être, que toutes celles de ses personnages, lorsque nous sommes parvenus à la bien connaître. Il n’est pas surprenant qu’elle continue aujourd’hui de rencontrer dans son pays des admirateurs, ou plutôt des amis passionnés, pour lesquels le romancier de la Foire aux Vanités est devenu une espèce de Montaigne, — un compagnon familier dont la personne leur est plus chère que toutes les qualités littéraires de son œuvre. En fait, cet « amateur » de génie n’est pas sans ressembler à notre Montaigne. Il en a la franchise et la bonhomie, avec une égale maîtrise à nous faire accepter, le plus facilement du monde, telle dure leçon qu’il lui a plu de nous infliger. Sa philosophie même, tout aussi indéfinissable que celle de Montaigne, exerce sur nous une séduction à peine moins profonde, s’emparant de nous par de lentes étapes, mais sans que nous puissions réussir désormais à lui échapper.

C’est par cet attrait individuel que l’illustre rival de Dickens a le plus de chances de durer dans les lettres anglaises. Ses romans en tant que tels, il faut bien l’avouer, ont déjà vieilli. Tous les hommages offerts à sa mémoire par le public anglais, en cette année de son centenaire, ne feront pas que son Henri Esmond et son Pendennis, ni même sa Foire aux Vanités, viennent reprendre leur place d’autrefois dans les bibliothèques familiales où, seuls, les chefs-d’œuvre de Dickens semblent défier jusqu’ici les assauts du temps. Mais sous le romancier aux formules surannées, survit le causeur et le moraliste. Celui-là, je le jurerais, n’a rien perdu de son prix auprès de tout lecteur qui, à un moment quelconque de sa vie, s’est vu admis au délicieux privilège de son intimité. Tout au plus, sans doute la nature particulière de cette respectueuse affection de ses compatriotes les portera-t-elle, par degrés, à rechercher moins volontiers le plaisir de sa société dans ses grands romans que dans la nombreuse série de ses contes et de ses chroniques, où l’incomparable « amateur » a pu épancher beaucoup plus à loisir ses trésors de sagesse et de fantaisie. Il y a même, dans son œuvre, des centaines de courtes « esquisses, » — articles écrits pour la revue qu’il avait fondée, impressions de voyage, fragmens de prétendus « mémoires » d’un valet de chambre, — qui, si un audacieux traducteur prenait sur soi de les révéler au public français, auraient peut-être de quoi réconcilier enfin