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il est vrai, que la poésie lyrique, mais d’un accent plus personnel encore et d’une action plus directe.

Je ne crois pas que la rareté de ses odes, de 1555 à 1562, vienne de ce que « les rythmes lyriques exigent plus de travail et d’art et par conséquent plus de loisir, » tandis que « les vers alexandrins, plus voisins de la prose, sont plus faciles à écrire. » Nous ne possédons qu’un seul vers vraiment organique, qui contient tous les autres, qui marche et qui vole, bon pour l’attaque, bon pour la défense, et qui n’a de commun avec la prose que le pouvoir de rendre, sur un mode qu’elle ne saurait ni chercher ni atteindre, tous les sentimens de l’âme et tous les phénomènes de la vie. C’est le vers alexandrin. Ronsard, descendu parmi les hommes, épousant leurs soucis et leurs alarmes, devait forcément s’en saisir et, pour un temps, s’y tenir. Il est possible que Daurat lui ait proposé de nouveaux modèles : Théocrite, Lucrèce, Claudius, Aratus. Mais les événemens parlaient plus haut que Daurat.

La première édition collective de ses œuvres, celle de 1560, qui se dressait, comme un monument de renaissance païenne, à l’entrée des guerres civiles, l’exposait aux coups des protestans. « Ils voyaient dans la Pléiade un boulevard du catholicisme, de l’ordre politique et des mœurs traditionnelles » et s’efforçaient » de ruiner le crédit de l’Ecole humaniste et de son chef[1]. » Ronsard fut provoqué. Son amour de la France, son attachement à la famille royale, le sentiment que son œuvre, son art, le trésor des lettres antiques seraient menacés par une victoire des « têtes calvines, » ses intérêts matériels, tout conspirait à lui interdire la neutralité prudente d’un Montaigne. Et puis il sentait derrière lui une foule frémissante qui entendrait sa voix, qui se répéterait ses vers. Plus de mythologie ! Plus de symboles ! L’heure était à la poésie claire et nue comme l’acier. De nouvelles Odes n’auraient pas autant ajouté à sa gloire que ses admirables Discours sur les Misères de ce temps, son Institution pour l’Adolescence du Roi, sa Remontrance au Peuple de France. De quelle façon ce poète officiel comprenait ses devoirs, avec quel courage cet épicurien s’engageait dans la lutte des partis, avec quelle éloquence ce patriote se rangeait du côté de nos Rois, avec quelle sûreté

  1. Henri Longnon, Essai sur Ronsard.