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décisoire était déféré au maître. Quand la servante avait pour adversaires des héritiers du patron, moins à même d’être informés de la vérité, c’était, au contraire, son serment qui tranchait le débat. Si elle avait affaire à des créanciers du patron, le tribunal recourait aux modes de preuves ordinaires. Les domestiques étaient pour leurs gages créanciers privilégiés. Aux gages en argent s’ajoutaient souvent des fournitures de vêtemens tantôt purement gracieuses, tantôt stipulées dans les conditions d’engagemens. Il y avait pour ces libéralités en nature des circonstances prévues ; quand le fils ou la fille de la maison se mariait, les domestiques de l’un et de l’autre sexe y gagnaient à tout le moins une garde-robe neuve.

La servante qui se mariait sans l’autorisation de ses maîtres perdait ses gages. On s’étonnera que nous n’ayons pas encore parlé du montant de ces gages. C’est que les chiffres que nous avons sous les yeux sont tellement éloignés les uns des autres qu’ils ne conduiraient pas, même approximativement, à une idée un peu générale.

La domesticité n’est pas seulement ce qu’en font les usages contractuels ; les rapports des maîtres et des serviteurs dépendent aussi de l’idée que la loi morale et la loi civile leur donnent les uns des autres. C’est encore au P. Lejeune que nous demanderons de quels yeux l’Eglise leur commandait de se considérer mutuellement. L’orateur chrétien va jusqu’à présenter l’autorité du maître comme « une émanation, une image et une expression de la souveraineté de Dieu. » On ne parlait pas autrement des rois. En même temps qu’il proclame la profonde inégalité sociale entre les maîtres et les serviteurs et approuve la justice humaine qui fait une grande différence entre les torts réciproques des uns et des autres, il enseigne au subalterne à défendre contre son supérieur sa conscience et sa moralité, et il exalte le premier jusqu’au rang où il vient de placer le second : «... Vous devez chérir vos serviteurs, avoir des tendresses pour eux et même des sentimens de respect, car ils sont les images de Dieu. » On sait déjà un peu comment la société civile comprenait les relations qui naissent de la domesticité. Pour elle l’homme abstrait n’existe pas, elle ne connaît encore que l’homme vivant, tel qu’il est conditionné par son origine ethnique et locale, sa famille, sa place dans la hiérarchie sociale, son statut professionnel, l’homme qui est toujours le