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dais, ainsi que les murs de la chambre, étaient tendus d’étoffe violette semée de fleurs de lis d’or ; le Roi lui-même était vêtu de violet et coiffé d’une toque violette surmontée de plumes blanches. Le « lit » était placé dans l’un des coins de la pièce, surélevé de manière que le souverain dominât l’assemblée.

En pensant aux lits de justice, on imagine généralement un prince venant imposer par un coup de force ses décisions à un tribunal ; au lieu d’y voir, ce qui correspondrait à la vérité, le monarque venant rendre lui-même la justice au sein de son Conseil. Loin de se résoudre en un coup de force, ces assemblées donnaient le tableau de la justice en sa pureté. La « loi vive, » comme dit Bodin, s’y exprimait directement par la bouche de celui qui l’incarnait tout entière. « Et tout ainsi, dit Bodin, que les fleuves perdent leur nom et leur puissance à l’embouchure de la mer, et les lumières célestes en la présence du soleil et aussitôt qu’il approche de l’horizon perdent leur clarté, en sorte qu’elles semblent rendre la lumière totale qu’elles ont empruntée au soleil, » ainsi voyons-nous les cours de justice se dépouiller de leur autorité, du moment où paraît dans leur sein celui qui en est la source unique. L’Hommeau s’exprime en termes identiques. Et La Roche-Flavin : « Le Roy présent, le parlement, ny autre magistrat ne peut user d’aucun commandement, ni exercice de justice lui-mesme : Adveniente principe cessat magistratus. » En présence de la justice même, ceux qui n’en sont que les interprètes ne peuvent plus exercer leurs attributions ; de même que le messager serait réduit au silence du moment où celui qui l’aurait envoyé paraîtrait pour parler en personne.

Louis XV n’exagérait pas quand il disait au Parlement, le 3 mars 1766 : « C’est de moi seul que mes Cours tiennent leur existence et leur autorité. »

Ainsi donc, jusqu’à la fin de l’ancien régime, et nonobstant que la pratique en fût dispersée entre les diverses Cours souveraines, la justice continue, selon la remarque de Richelieu, à demeurer « la plus intime propriété de la royauté. »

Deux anecdotes pour clore ces quelques pages sur la justice du Roi.

Henri IV fit un jour appeler M. de Turin, conseiller au Parlement. Il voulait lui recommander une affaire dont il était rapporteur et qui intéressait M. de Bouillon :