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escadre. Le monde s’en est ému comme nous ; les condoléances sont venues, très touchantes, très sincères car l’humanité entière se sent atteinte par un de ces accidens tragiques qui semblent être une manifestation moderne de l’antique fatalité. C’est une terrible leçon que nous avons reçue le lendemain du jour où une brillante revue de nos forces navales avait rempli nos cœurs de confiance. Nous ne perdons pas cette confiance, loin de là ! mais nous devons lui donner une base encore plus solide. Il faut chercher, il faut trouver la cause de ces grands désastres dont la répétition trop fréquente, après nous avoir affligés, nous étonne et nous déconcerte. Comment n’être pas frappé du fait que ces sinistres nous sont en quelque sorte réservés et n’atteignent que nous ? D’autres puissances ont autant de navires, ou même davantage ; ces navires sont chargés de poudre comme les nôtres ; pourquoi ne font-ils pas explosion comme eux ? La pensée vient invinciblement à l’esprit que le personnel en est soumis à une discipline plus sévère, qu’il pratique une surveillance plus exacte, mieux soutenue, qu’il est sujet à moins de distractions et de négligences. Chez nous, le laisser aller est partout ; l’autorité est affaiblie quand elle n’est pas absente ; l’obéissance est sujette à des intermittences coupables. Nous n’en dirons pas pour le moment davantage ; nous savons trop peu de chose pour conclure ; nous attendrons. Mais l’opinion demande à savoir, elle le veut, elle l’exigera bientôt, et sa douleur d’aujourd’hui n’empêchera pas son jugement de demain.


La Russie, elle aussi, a été frappée, autrement que nous, bien cruellement aussi : un odieux assassinat a coûté la vie à M. Stolypine. Mais que pouvons-nous en dire qui n’ait déjà été dit partout ? Il nous suffit de mentionner le fait avec toute l’horreur qu’il suscite dans la conscience du monde civilisé.

M. Stolypine était l’homme le plus représentatif de la Russie actuelle, ou du moins de son gouvernement ; on sentait en lui une force sur laquelle le pays pouvait s’appuyer. Lors même qu’on n’approuvait pas certains détails de sa politique, on souhaitait qu’elle réussît dans son ensemble, et le fait est qu’elle avait réussi. Il restera dans l’histoire l’homme qui a acclimaté en Russie, non pas le gouvernement parlementaire dont il n’était pas partisan, mais le gouvernement constitutionnel, avec cette particularité importante et nouvelle que la Constitution instituait une Chambre, deux même, et leur donnait des pouvoirs précis. On pourra plus tard aller plus