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et Protaise. « Les quatre strophes de l’Ode à Faune, le dieu païen, ont passé dans les quatre dernières strophes de ce chant chrétien. » Une seule ode, l’Ode à Mellin de Saint-Gelais, où il céda peut-être au désir « d’éblouir son rival » renferme des souvenirs d’Horace, de Virgile, d’Ovide, d’Homère, de Catulle, de Stace. Ses poésies amoureuses entrelaceront, à chaque instant, une métaphore de Pétrarque à une antithèse de Marulle, et une pensée de Properce à une mignardise de Jean Second. Si Ronsard prie le rossignol de lui servir de messager auprès de sa maîtresse, c’est qu’il avait probablement lu la canzione de Bembo : O rossignol qui dans ce vert feuillage !... II est vrai que Bembo avait lu les trouvères qui font du rossignol le poète par excellence du Printemps et de l’Amour. J’aime à croire que Bembo et Ronsard l’avaient entendu chanter ailleurs que dans les vers de leurs prédécesseurs ; et je suppose que Ronsard était de force à trouver, tout seul, ce motif d’inspiration. Mais ne chicanons point M. Laumonier sur ses innombrables rapprochemens. S’il y prend beaucoup de plaisir, il est encore plus heureux lorsqu’il découvre chez son poète un sentiment ou un développement dont personne, à sa connaissance, ne lui avait donné le premier mot. Du reste, Ronsard les autorise, car, loin de dissimuler ses imitations, il les proclame et s’en flatte comme d’un titre d’honneur. Le Roi semble-t-il désirer qu’il abandonne la lyre amoureuse pour emboucher la trompette épique, il s’écriera :


Mais que me sert d’avoir tant lu Tibulle,
Gallus, Ovide et Properce et Catulle,
Avoir tant lu Pétrarque et tant noté,
Si par un roi le pouvoir m’est ôté
De les ensuivre, et s’il faut que ma lyre,
Pendue au croc, ne m’ose plus rien dire ?


C’est à Cassandre qu’il adresse ces vers, à Cassandre, son « œil, » son « âme, » sa « vie. » N’y a-t-il pas une sorte d’ingénuité à confesser ainsi qu’on prend dans les livres tout ce qui vous sort du cœur ?

Cette ingénuité confine au pédantisme. On n’a plus rien à dire du pédantisme de Ronsard. S’il n’a point en français parlé grec et latin, comme l’en accuse Boileau, il a trop souvent parlé pour des Grecs et pour des Latins, ce qui revient au