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fait de grands circuits et forme des îles charmantes ; les hauteurs de Saint-Germain et de Marly, la machine, l’aqueduc, des coteaux chargés d’arbres et une foule de belles maisons de campagne qui bordent la rivière ou embellissent la pente des montagnes ; et à côté de cette grande vue un petit vallon rempli de grands arbres, au milieu desquels on domine les toits d’un joli village ; un clocher antique en forme de pyramide s’élève au milieu des feuillages. Cette vue repose les yeux fatigués par la magnificence de la plaine, et on est tenté d’y aller chercher le bonheur qui a dû s’y réfugier lorsque le faste de Louis XIV l’a chassé de Saint-Germain et de Marly. » On a rarement trouvé des accens plus lyriques pour célébrer Bougival.

(les environs de Paris, si joliment champêtres, abritent dans leurs replis de coquettes villas, d’aimables châteaux et des maisons à contrevens verts, où se continue, dans un autre décor, la vie de salon. Mme Suard y est invitée à faire des séjours. En premier lieu, bien entendu, chez les Necker. Ils avaient acheté le château de Saint-Ouen, dont les terrasses ombragées de beaux arbres dominaient la Seine. Mme Suard y rencontra, pour la première fois, Mme Geoffrin qui y était venue dîner. Placée à table en face d’elle, et impressionnée par le voisinage de cette puissance, elle admira de toutes ses forces « sa taille élevée, ses cheveux d’argent couverts d’une coiffe nouée sous le menton, sa mise noble et décente, et son air de raison mêlée à la bonté[1]. » On voisinait d’une résidence à l’autre, et chaque maîtresse de maison, à tour de rôle, organisait des fêtes où toute la vallée se donnait rendez-vous. La comédie de société, jouée par des gens du monde, avait été mise à la mode par Mme d’Épinay, sur le théâtre de la Chevrette. La grande attraction était de jouer des pièces « interdites par la censure. » Mme Necker emmena ainsi Mme Suard entendre la Mélanie de La Harpe chez Mme d’Houdetot, à Sannois. « C’était Mme de Cassini qui jouait le rôle de Mélanie, et, après Mlle Clairon, je ne connais rien de plus parlait. M. de La Harpe jouait le rôle de Faublas ; celui du curé a été bien rempli par M. d’Épinay. La pièce nous a fait fondre en larmes. J’avais auprès de moi nue femme qui, je crois, n’avait d’autre mérite que celui d’une sensibilité vraie et qui répétait sans cesse, en laissant couler

  1. Mémoires de Mme Suard.