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civilement ; il n’a pas l’allure d’un monarque qui doit marcher entouré de soldats et de gardes. » (Lettre de J. de Salisbury à Gérard Pucelle.) Au fait, on voit le Roi se promener à pied par la ville ; chacun l’aborde et lui parle, sans plus de façon. Les chroniqueurs nous ont conservé un dialogue qui se serait noué de la sorte entre un jongleur et Philippe-Auguste. L’histrion réclame du prince un secours en argent, parce que, dit-il, « je suis, Seigneur, de votre famille…

— Et comment es-tu mon parent ? lui demande le Roi.

— Je suis votre frère, Seigneur, par Adam ; seulement, son héritage a été mal partagé et je n’en ai pas eu ma part.

— Eh bien ! reviens demain et je te la donnerai. »

Le lendemain, dans son palais, Philippe-Auguste aperçoit le jongleur parmi la foule qui s’y presse. Il le fait avancer et, lui remettant un denier :

— Voilà la portion que je te dois ; quand j’en aurai donné autant à chacun de nos frères descendus d’Adam, c’est à peine si, de tout mon royaume ; il me restera un denier.

L’anecdote est-elle authentique ? Du moins la transmission par les contemporains en est caractéristique des contingences que nous voudrions définir.

Le Florentin Francesco Barberino vient en France sous le règne de Philippe le Bel. Il est tout surpris de voir le terrible monarque, — qui répandait, comme le dit Dante, son ombre sur l’Europe entière, — se promener dans les rues de Paris, où il rend avec simplicité leur salut aux bonnes gens qui passent. Barberino croise Philippe le Bel arrêté au coin d’un carrefour par trois ribauds qui ne payaient pas de mine. Le Roi restait là, les pieds dans la boue ; il était coiffé d’une toque blanche ; après avoir écouté patiemment les doléances des compagnons, il conversa quelque temps avec eux. Et l’Italien ne manque pas de noter le contraste que fait la bonhomie de ces façons royales avec la morgue des seigneurs florentins.

Charles V, au témoignage de Jouvenel des Ursins, « vouloit tout ouïr et savoir, et, quelque déplaisance qu’il dût avoir, il se montroit patient ; il s’enquéroit du nom de ceux qui estoient venus, de la manière de les reconnoistre ; il se les faisoit montrer, les appeloit par leurs noms comme s’il les eût connus de tout temps, s’informoit de leur estat, de leur ville, de leur pays et leur donnoit toujours quelque confort. »