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fleuve en reflets frissonnans. Un autre gouffre constellé se creuse sous le balcon du bateau. En haut, en bas, partout, on est enveloppé d’un fourmillement d’astres. Parfois, une étoile filante jaillit dans l’étendue, en même temps qu’un grand poisson de feu coupe le cristal liquide et se perd dans les profondeurs des eaux embrasées.


Vendredi, 18 mai.

Dès avant l’aube, le Khamsin se déchaîne avec une rage inouïe. Les poussières nous envahissent, se collent aux mains, au visage, s’écrasent sous les dents. Le paysage s’efface de plus en plus. C’est une grande tache toute blanche enveloppée de fumées blondes, qui, par momens, s’échevèlent, bondissent, en dessinant, sur le ciel livide, des formes étranges qui fuient comme au galop et qui s’évanouissent dans la fournaise trouble de l’espace. On dirait que les chevaux pâles de l’Apocalypse sont lâchés dans le ciel.

Sans cesse, des traînées de poussière se soulèvent sur les deux rives du fleuve, elles courent, pareilles à des flammes sur le bord d’un mur incendié. Sous les coups furieux du vent, les berges s’effritent. De grands morceaux se détachent, tombent dans l’eau avec un bruit pesant, ou bien cela glisse en une chute ténue, comme une pincée de sable par le trou d’un sablier. La terre, balayée par le vent, semble sur le point de se dissoudre.

Çà et là, quand le tourbillon s’affaisse, on aperçoit des ibis blancs et noirs, blottis dans les trous des roches, la tête sous l’aile, une patte repliée et l’autre dressée comme une tige, — oiseaux funèbres sur une berge de l’Hadès. Des hommes à la peau d’ébène sillonnée de tatouages, aux cheveux rares et crépus, vêtus d’un simple pagne, courbent l’échiné sous le fouet de la rafale, ou s’aplatissent au ras du sol.

Le type et le caractère nubiens s’accentuent. Nous entrons maintenant dans les pays noirs.


Après midi, la chaleur est foudroyante.

Il est inconcevable, vraiment, qu’on puisse respirer dans cette flamme. Et pourtant, on n’en est point abattu. Au contraire, les sens hyperesthésiés vibrent au moindre ébranlement, l’esprit