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Soudan, elle renferme des richesses incalculables pour le pays, des maisons qui sont des palais ! C’est ici que se concentre tout le commerce îles caravanes venues du Nord ! Ahmadou ne serait plus le Sultan tout-puissant s’il n’empêchait les Européens de fouler sa terre ; il perdrait son nom, il perdrait sa fortune.

Cazemajou ne se laisse pas influencer par ces paroles. Certes, cette ville est importante, elle doit compter au moins 20 000 âmes, son enceinte crénelée a plus de 5 kilomètres de tour ; et ce qu’on rapporte de sa richesse est probablement exact ; mais tous les voyageurs ont rencontré sur leur chemin des cités, sinon aussi florissantes, au moins aussi puissantes ; Diriger est entré ; à Kong, Monteil à Kouka ; le lieutenant de vaisseau Boiteux, avec 6 Européens et 12 tirailleurs, a pris Tombouctou ! Pourquoi suspecter la bonne foi du Sultan ? Si celui-ci est encore indécis, un coup d’audace lui en imposera.

Le jour se lève ; nulle attaque n’a troublé la nuit. Cazemajou, heureux et confiant, regarde le vent dissiper les nuées matinales, les minarets sortir de l’ombre, la ligne des toits se préciser et mettre sur l’horizon des dentelures. Il aspire cette odeur un peu acre exhalée par les herbes brûlées que la nuit a mouillées de rosée, cette odeur caractéristique de l’aurore africaine, et qui reste, pour ceux qui l’ont connue, l’odeur évocatrice de la brousse, l’odeur de l’Afrique.

La ville à contre-jour n’est encore » qu’un amas d’ombre ; elle se détache comme un îlôt noirâtre sur la mer ensoleillée des champs environnans ; elle semble dormir encore. Pourtant, les portes se sont ouvertes, les cavaliers de la veille galopent vers le campement, ils viennent chercher le chef de la Mission.

Le sergent Samba Taraoré fait prendre les armes à l’escorte ; il s’approche du capitaine et renouvelle sa prière.

— Mon capitaine, toi n’as pas besoin d’aller là-bas.

Cazemajou fait signe à l’interprète Olive et se dispose à accompagner les envoyés d’Ahmadou. Samba est devant lui.

— Alors, mon capitaine, tous les tirailleurs y a partir avec toi.

Cazemajou lui donne l’ordre de l’attendre. Avec l’interprète Olive, il descend vers la ville.

Du sommet du mamelon, Samba et le caporal Kouby Keita, l’arme au pied, liés au convoi par la consigne, regardent s’éloigner leur officier. Le capitaine approche du grand tata, il franchit la porte, on ne le voit plus… Samba et Kouby demeurent