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soleil couché, pour surprendre à l’aurore un rassemblement de sofas, signalé près de la frontière de Sierra Leone, au village de Wyma. Ces sofas cherchent sans doute à rallier Samory dont ils ont été séparés. Hypothèse vraisemblable ; car le colonel Combes[1] vient opérer simultanément dans la vallée du Milo et dans celle du Haut Niger. Le colonel a refoulé Samory vers l’Est, du Milo sur le Bani, et les colonnes volantes des capitaines Briquelot et Dargelos ont rejeté Kémoko Bilali, un des lieutenans de l’Almamy, des sources du Niger vers le territoire britannique de Sierra Leone. Les bandes dispersées se sont reformées dans ce dernier pays, non sans y exercer de nombreux pillages, et les Anglais s’efforcent de les repousser chez nous. Pris entre les deux lignes de postes anglais et français, Kémoko Bilali essaie sans doute de fuir vers le Bani. Le lieutenant Maritz a résolu de lui couper la retraite. Il n’a que trente tirailleurs, mais il sait ce qu’ils valent, et il escompte l’effet assuré d’une surprise, au lever du jour, sur des sofas mal gardés. Un fort contingent d’indigènes Malinkés l’accompagne, toutefois, il ne compte pas sur eux ; ils serviront peut-être dans la poursuite, ils se tiendront sûrement à distance au moment de l’attaque. Celle foule qui, instruite, encadrée, serait brave, manque de chefs, en a conscience et comprend sa faiblesse ; elle envisage moins le combat que son résultat, le pillage.

La lune peu à peu a disparu, sa lueur blanche agonise dans l’ombre, le sentier est à peine visible, les arbres sont maintenant des taches noires ; l’enveloppement de la nuit est plus mystérieux, le calme plus recueilli. Cette paix n’est troublée que par le glissement des pieds sur le sol, parfois un pas plus relevé fait claquer une sandale. Au passage d’un ruisseau, le clapotis de l’eau piétinée met dans l’air un bruit de pluie qui grandit et devient un roulement de torrent, lorsque, derrière les tirailleurs, les Malinkés traversent pressés, en désordre.

Maritz paisible, résolu, l’esprit tendu vers le but, prêt à commander, est agité seulement par cette passion qui aux heures d’action n’est ni l’ambition, ni l’amour de la gloire, mais l’amour de la lutte, l’amour du danger. Le nombre d’ennemis qu’il va rencontrer ne l’inquiète pas, il est suivi par trente hommes, avides eux aussi de danger, et qui se reposent sur leur

  1. Le colonel Combes dirigeait la colonne de 1893, qui suivit la première colonne contre Samory commandée par le colonel Humbert en 1892.