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lui a appris de bonne heure à supporter la vérité, lui écrit avec franchise, souvent même avec impétuosité, sans se départir un instant de la déférence qu’il doit à un prince. Le Prince, à son tour, ouvre volontiers son cœur à un homme dont il se sait profondément aimé, dont il connaît le dévouement et la discrétion. Il pense tout haut devant lui, il lui fait des confidences qu’il ne ferait certainement pas à d’autres. Dans leurs lettres, le fond de leurs deux natures apparaît en pleine lumière. C’est par là surtout que nous apprenons ce qu’il y avait en eux de noblesse d’âme. Rien d’étroit ni de mesquin dans l’échange de leurs idées. Ils ne sont pas toujours d’accord, mais au milieu de leurs divergences, ils cherchent toujours ce qu’il y aurait de mieux à dire ou à faire, ce qui s’accorderait le mieux avec leur idéal commun, ce qui servirait et honorerait le mieux la France. Français,’ils le sont jusqu’au bout des ongles, jusqu’à l’idolâtrie. Le Duc d’Aumale a subi dans sa vie de bien cruelles épreuves. De toutes la plus douloureuse, celle dont il sent l’aiguillon tous les jours, dont aucune occupation ne peut le distraire, c’est l’exil.


I

Au moment où s’ouvre le troisième volume de la Correspondance, le Prince termine la onzième année de son séjour en Angleterre. Il est installé dans sa belle résidence de Twickenham, à portée de Claremont, où réside la reine Marie-Amélie. Il y vit au milieu des siens, entouré des égards et des respects de la société anglaise, avec tout le luxe d’une grande existence, avec toutes les apparences du bonheur. À le voir d’une humeur si égale, si empressé auprès de ses hôtes, personne ne soupçonnerait la blessure intérieure dont il soutire. Habitué depuis son enfance, sous la rude discipline de Cuvillier-Fleury, à rester maître de soi, il trompe sa douleur par son activité physique et intellectuelle. Il monte à cheval, il chasse à tir et à courre, il prépare des matériaux pour sa grande Histoire des Princes de la maison de Condé. Mais au fond, tout au fond de cette âme courageuse persiste le regret quotidien de la patrie perdue. Aussi quelle joie lorsque les amis de France traversent la mer ! Si c’est Cuvillier-Fleury, on le retient pendant des mois entiers, on ne se lasse pas d’apprendre par lui les