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dit, et nous n’avons aucune raison, — psychologique et historique, — de ne pas l’en croire. En concevant le Génie, il ne pouvait pas, — raisonnablement, — espérer être servi comme il l’a été, par les circonstances ; et il désirait, certes, passionnément le succès, et il n’a rien négligé pour l’assurer, mais il ne pouvait espérer celui qu’il a eu. Acte de foi et de bonne foi, acte de désintéressement, de générosité et de conscience, le Génie du Christianisme, n’est, originairement, rien autre chose ; la politique n’est venue qu’ensuite, après le retour en France. Et dans les difficultés mêmes que Chateaubriand rencontrait pour réaliser son œuvre, je vois, s’il en était besoin, une preuve nouvelle, et non pas peut-être la moins parlante, de sa parfaite sincérité.

M. Cassagne me répondra sans doute qu’il ne conteste pas la sincérité de l’auteur du Génie du Christianisme, et qu’au surplus la sincérité n’est pas du tout inconciliable avec une certaine dose d’esprit politique, ce qui est du reste tout à fait mon avis. Il n’en est pas moins vrai qu’à insister comme il le fait, et d’une manière selon moi exagérée, sur la politique ou la diplomatie de Chateaubriand, il ne peut s’empêcher de laisser planer un certain doute sur la franche spontanéité de ses convictions : trop d’habileté nuira toujours dans notre esprit à ceux qui veulent être ou paraître sincères. Et cela est si vrai que M. Cassagne, première victime, après son héros, de sa propre thèse, n’a peut-être pas, et, en tout cas, ne suggère pas, pour le poète des Martyrs, toute la sympathie qu’on peut sans doute lui refuser, mais qu’il me parait, généralement, mériter : il parle de lui sur un ton de désinvolture un peu tranchante qui choquera, je le crains, beaucoup de lecteurs, et qui, à plus d’une reprise, semble assez peu conforme à la stricte équité. S’il apprécie en fort bons termes le célèbre article du Mercure en 1807, et la courageuse provocation qu’il contenait, il est plus froid pour la non moins courageuse démission de 1804 : « Dans cette quasi unanime passivité ou servilité, l’acte de Chateaubriand, sans vouloir en exagérer le retentissement ni la portée, fit son effet. Le geste avait belle allure ; il avait même, en un sens, de l’à-propos. » Un « à-propos » qui pouvait couler terriblement cher à son auteur : voilà ce que l’ingénieux historien aurait dû ne pas oublier, et ce qui aurait dû lui interdire certaines insinuations, inutiles, et d’ailleurs incontrôlables, sur la diversité des mobiles qui ont pu, selon lui, dicter à Chateaubriand sa lettre de