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tapis de neige ; des troupeaux de moutons, de chèvres et de bœufs cherchent une vague pâture entre les roches calcinées ; des chameaux profilent dans le ciel leurs silhouettes d’ombres chinoises ; les huttes en paille ou noualas qui, depuis Settat, ont remplacé les tentes brunes, dressent au milieu d’enclos en pierres sèches leurs toits coniques et branlans. Vers le Sud, à peine estompé par l’éloignement dans une atmosphère sans profondeur, un reflet blanc dans le cobalt dilué du ciel dénonce les glaciers de l’Atlas. Perchés sur les bambous qui supportent le fil ténu du télégraphe de campagne, des éperviers roulés en boule contemplent sans émoi les scènes du chemin. Propriétaires cossus que transportent sans heurts des mules au pas relevé, goumiers drapés dans le manteau bleu qui échangent sans hâte les sacs postaux, paysans qui poussent leurs chameaux indolens et leurs ânes miteux, se suivent et se croisent, colportant les nouvelles qui seront déformées, amplifiées par les commentaires des douars. Au-dessus des coteaux chauves, des faucons planent inlassables, voilent, se laissent choir, remontent, filent comme des flèches, reviennent, sans un mouvement apparent de leurs ailes, imposant des comparaisons fâcheuses pour nos aéroplanes que la prudence retient à Casablanca sous le mystère de leurs hangars. Elevant sa coupole sur une ondulation d’un faible relief, le tombeau de Si-Mohammed-bel-Kouch, visible de trois lieues à la ronde, semble un phare qui domine la houle figée d’un océan silencieux. Puis, le Trident de Marrakech se montre, bleuâtre, à l’horizon ; la ligne de hauteurs qui longe la route à droite s’abaisse, disparait et démasque un chaos-de montagnes roses et violettes par-delà le fleuve lointain, dont la coupure profonde est jalonnée par des pitons gris. On traverse l’amas misérable des cahutes du douar Bou-Jdouda, où des gosses loqueteux piaillent au milieu de poules bruyantes et de chiens hargneux. Et, soudain, on domine une vision de rêve qui se dresse au loin sur le flanc élargi d’un ravin. Des murailles rougeâtres, des tours trapues, des terrasses éclatantes d’où émerge un minaret blanc, couvrant un vaste espace, font songer à quelque cité guerrière endormie dans la paix du désert. Les arêtes vives des remparts dévalent vers le ravin où des puits se devinent par le grouillement de formes vagues, par un miroitement de flaque jailli du sol ; elles remontent les pentes, encadrent un éperon largement étalé, se mêlent, dessinent de triples