Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en donnait l’assurance à Napoléon, en proposant pour cette travée le nom de salon impérial. Quant aux jeunes artistes, formés plus ou moins à l’école de David, c’était une révélation pour eux que le coloris des Vénitiens et de l’école de Rubens, admirablement représentée dans la travée des Flamands : on a pu assigner l’ouverture du Musée Napoléon comme point de départ à l’évolution qui allait se marquer dans la peinture française.

Judicieusement classées, restaurées avec respect, convenablement éclairées, les peintures ne trouvaient point, dans la grande galerie du Louvre, les conditions les plus favorables à leur conservation. En été, il manquait des stores pour tamiser l’éclat du soleil ; l’humidité de l’hiver était surtout redoutable. Pour la combattre, on ne disposait que de poêles chauffés au bois, rares et mal commodes. Au retour de la campagne de Russie, Napoléon se plaignait de l’atmosphère glaciale qu’il avait trouvée au Musée. Pour activer le tirage des poêles, on était obligé d’ouvrir les vasistas, ce qui avait le double résultat de mettre les visiteurs en fuite et de détériorer les tableaux, principalement les Italiens, dont les auteurs ne s’étaient point prémunis contre le climat brumeux des bords de la Seine.


Loin de se contenter de cette collection incomparable, Denon jusqu’à la fin de la période impériale travailla assidûment à l’agrandir. Accouru en Allemagne après Iéna, il pressait Napoléon d’exiger du roi de Saxe, en remplacement d’une partie des contributions de guerre, quelques toiles de la fameuse galerie de Dresde, notamment des Corrège et des Holbein : « Ce dernier peintre manque à Votre Majesté… Je dois répéter à Votre Majesté qu’en faisant la conquête du reste de l’Europe, elle ne retrouvera jamais l’occasion que Lui offre la Saxe en ce moment. » Napoléon tenait à ménager Frédéric-Auguste, dont il voulait se faire un allié. Déçu à Dresde, Denon se dédommagea à Cassel, où il préleva 299 tableaux[1], sans compter 153 objets

  1. Une cinquantaine des plus beaux tableaux de la galerie de Cassel (notamment la Descente de croix de Rembrandt et la célèbre Vache de Paul Potter avaient été après la bataille d’Iéna cachés par l’ordre de l’électeur de liesse, dans une maison de garde forestier : le général Lagrange les y saisit et les expédia à Mayence à l’impératrice Joséphine, qui, forte de l’acquiescement tacite de l’Empereur, se les adjugea malgré les réclamations de Denon et les fit placer à Malmaison ; après la mort de Joséphine, en 1814, sa collection fut vendue près d’un million au tsar Alexandre, et c’est ainsi qu’une partie des merveilles de Cassel est depuis lors demeurée en Russie, à la vive déception des Hessois.