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pénible pour elle que pour eux. Enfin il n’approuve pas qu’on s’en remette à elle du choix de l’enfant auquel sera attribué l’héritage. Ce choix, à ses yeux, ne peut être dicté que par le caprice.

Beaucoup de femmes jouissaient ainsi de la considération et des avantages matériels attachés à l’espèce de survivance par laquelle le défunt avait voulu se continuer lui-même dans leur personne et, ce que l’on aurait peine à croire si le fait n’était établi par l’arrêt solennel que nous mentionnions tout à l’heure, un second mariage ne les leur faisait pas toujours perdre. Parmi celles qui contractaient de nouvelles unions, il y en avait qui n’attendaient pas, pour le faire, l’expiration du délai légal, c’est-à-dire de l’an vidual. L’Eglise et la loi civile manifestaient bien leur désapprobation des secondes noces, la première en leur refusant sa bénédiction, la seconde en frappant la femme de certaines peines, surtout de certaines incapacités ; mais en cette matière la jurisprudence, toujours obligée de compter avec les mœurs, tendait à l’indulgence et l’arrêt que nous venons de signaler montre jusqu’où elle la poussait. En Provence, les secondes noces, même celles qui étaient célébrées prématurément, n’entraînaient que l’application des garanties justifiées par l’intérêt des enfans du premier lit. Le monde n’était pas plus sévère, mais le vulgaire ne voulait pas renoncer au droit de s’amuser aux dépens de ceux et de celles qui se laissaient tenter par le convoi. Aussi n’était-il pas facile, bien que l’Eglise et l’autorité civile, dans leur souci un peu chagrin de la décence publique, s’y employassent de concert, de lui faire perdre l’habitude des charivaris qui, sous le nom d’ouvoulé, de pelote, de chevet, etc., étaient souvent rachetés par des droits en nature auxquels les intéressés ne tenaient pas moins.

Sans être rare, la fidélité d’outre-tombe l’était assez pour attirer l’estime et presque l’admiration. Dans son livre de raison, un avocat au présidial de Soissons, Claude du Tour, parlant de son père qui venait de mourir le 3 mai 1648 âgé de soixante-sept ans, remarque qu’il est resté veuf jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant plus de vingt-quatre ans, par fidélité à la mémoire de sa femme et par affection pour le fils unique qu’elle lui avait laissé. Montaigne présente Mme d’Estissac, à cause de sa longue viduité, des nombreux et brillans partis qu’elle avait refusés, de sa gestion épineuse et habile des intérêts de ses enfans, de