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ta bourse, il accepte donc tes offres, que je ne lui fis cependant qu’après qu’il m’eut présenté cet obstacle. Je désire donc, pour persuader au Roi de lui donner un billet de sa main pour l’Impératrice, que tu lui écrives pour l’en prier… »

Lorsque Mlle de Rudenschold expédiait cette lettre, Aminoff venait de quitter Stockholm pour rejoindre son régiment. Mais, pendant le séjour qu’il y avait fait, ils s’étaient trouvés souvent ensemble et les échos de la Cour commençaient à laisser entendre que la demoiselle d’honneur, pour se consoler de l’absence d’Armfeldt, avait écouté avec complaisance les tendres aveux, que, séduit par sa beauté, le brillant colonel s’était permis de lui faire, bien qu’il fût marié. Tout était calomnie dans cette histoire ; jamais Madeleine n’avait été moins disposée à ouvrir l’oreille à des déclarations amoureuses. Les mauvais propos n’en circulaient pas moins, sans que les deux personnages qui en étaient l’objet pussent les soupçonner. Madeleine, pour sa part, les soupçonnait si peu qu’au moment du départ d’Aminoff, elle écrivait à Armfeldt :

«… Aminoff est parti hier, la rage dans le cœur. Pour un homme jaloux de son naturel, il doit être affreux de quitter sa femme au moment qu’un jeune fat lui fait la cour ; car il faut savoir que le baron Bunge lui en conte très assidûment et le cas est d’autant plus épineux qu’elle est au moment d’une grossesse.

« Mais, puisque me voilà sur le chapitre de la galanterie, Malla doit faire à Pojke (l’aimé) une confession, qu’elle vient de faire une conquête d’un jeune et joli garçon, sans être un Adonis dangereux pour ton amante, qu’il faut amuser pour lui plaire, et celui-ci n’a aucun talent pour cela. C’est Axel de La Gardie. Comme les novices ne se cachent pas quand ils sont amoureux, celui-ci a mis toute la société au fait de son inclination, qui cependant n’est vieille que de huit jours… Au moins, si on te dit que La Gardie me fait la cour, j’espère que Pojke ne s’abandonnera pas derechef à des soupçons injurieux pour le sentiment sacré que je porte pour toi au fond du cœur. »

Ce n’est point là, on le reconnaîtra, le langage d’une femme qui a trahi la foi jurée ou qui est disposée à la trahir. Mais, déjà, Armfeldt avait été averti des propos qui se tenaient à Stockholm. La lettre qui précède était à peine partie que Madeleine en recevait deux, datées du 10 janvier, qui lui reprochaient avec véhémence son inconstance et sa légèreté.