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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/795

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littéraire de Rome, — qui, il est vrai, ne nous a été que très imparfaitement conservée, — ne nous cite que deux ou trois femmes poètes, et pas une seule femme philosophe. Mais le progrès ne se fait pas seulement par les génies inventeurs : le public, le milieu, y a sa part aussi, et en ce sens les femmes ne s’en sont point tenues à l’écart. Elles s’intéressaient aux questions littéraires : Juvénal dit même qu’elles s’y intéressaient trop, et que leurs controverses pédantesques sur les beautés respectives d’Homère et de Virgile, leurs citations des vieux auteurs, leurs discussions grammaticales inspirées par le purisme le plus étroit, les rendaient insupportables. Mais un satirique est toujours suspect de quelque outrance ; et puis cet excès d’érudition n’était-il pas la conséquence ou la rançon nécessaire d’un goût général pour les lectures sérieuses ? D’ailleurs, à côté des types caricaturaux que nous dépeint le poète, nous en voyons d’autres, qui, plus réels, sont aussi plus sympathiques. Une femme comme Cornélie, capable d’apprécier les beaux vers et de discuter géométrie, bonne joueuse de lyre au surplus, mais soigneusement appliquée à ne pas faire parade de ses talens, n’a absolument rien d’un « bas bleu. » Ce que nous en dit Plutarque nous ferait volontiers songer à une Mme de Sévigné ou de La Fayette, de même que les héroïnes de Juvénal ressemblent beaucoup à Philaminte. Il est probable que les deux genres de femmes lettrées existaient dans le monde de l’empire : les unes avec exagération, les autres avec une discrétion modeste, toutes avaient l’amour des lettres et des arts, et en servaient plus ou moins heureusement la cause.

Il en va de même pour la philosophie. Si aucune des femmes romaines n’a inventé ni même perfectionné de système, la plupart des écoles leur ont dû un concours empressé et souvent fort utile. Ici encore il y a lieu de distinguer entre le sain usage et l’abus fâcheux ou puéril. Quand, au temps d’Epictète, les belles dames se passionnent pour la République de Platon parce que l’abolition du mariage y est prêchée, et qu’elles y croient trouver la justification de leurs fantaisies sentimentales, — ou quand, à l’époque de Lucien, elles ont dans leur cortège des philosophes à gages, confondus avec la valetaille, chargés de veiller sur la chienne favorite de la maison, — il est trop clair que ni la philosophie ni les femmes ne tirent grand profit de modes comme celles-là. Mais ce ne sont, à