Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le point de devenir suisse et qui devait devenir et rester français. La création de la zone apparaît ainsi comme la conséquence indirecte d’une manœuvre imprudente de l’Empereur, d’une faute politique qu’il a voulu réparer, quand il en était temps encore, par un adroit subterfuge. Le 1er mars, à l’ouverture du Parlement, l’Empereur, en annonçant l’annexion savoyarde, s’abstient de toute allusion à l’idée du partage. Le 13 mars, Thouvenel fait savoir officiellement à Berne, comme il en a déjà avisé Kern à Paris, que la Savoie ne sera pas démembrée contre son gré, autrement dit qu’elle sera française tout entière[1]. — Pourquoi, dirons-nous ici encore, ce soudain, — et heureux, — revirement ? L’Empereur y fut porté d’abord par l’attitude agressive du gouvernement helvétique qui, poussé par l’Angleterre, cherchait à provoquer contre la France une intervention diplomatique des puissances. D’autre part, en France, l’opinion publique réclamait, en compensation des charges de la guerre, non pas un demi-succès, mais un succès plein, et n’aurait pas admis que, pouvant avoir la Savoie entière, il se fût contenté d’une moitié de Savoie. Enfin, et surtout, un fort mouvement s’était dessiné en Savoie contre l’éventualité d’un démembrement. Dès le milieu de février, une déclaration, partie de Chambéry, « repoussant comme un crime de lèse-patrie toute idée de morcellement ou de division de l’antique unité savoisienne, » se couvre de signatures, et sous l’impulsion des conservateurs unis aux libéraux modérés, toutes les classes, toutes les provinces, même la Savoie du Nord, s’unissent dans une protestation angoissée contre un nouveau partage de la Pologne. En même temps, l’idée de la zone franche, lancée dès janvier, a fait son chemin ; on apprend de source officieuse que l’Empereur est disposé à accorder la zone à la Savoie du Nord, ce qui ne peut qu’y favoriser le mouvement « français. » Les 8 et 10 mars, les conseils provinciaux de Chambéry et d’Annecy, représentans autorisés de la nation, signent des adresses officielles de protestation contre le démembrement. Une députation de 40 notables savoyards, présidée par le comte Greyffié de Bellecombe, va présenter ces adresses et pétitions à l’Empereur qui, dans l’audience solennelle du 21 mars, leur confirme l’assurance qu’il « ne contraindra pas au profit d’autrui le vœu des

  1. Documens diplomatiques de 1860, p. 43.