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quoiqu’elle ne paraisse pas absolument blâmable de prime abord, nous mentionnerons la « polylactie » ou « mouillage au ventre. » Est-ce qu’un laitier commet un délit lorsqu’il suralimente ses bêtes en matières aqueuses susceptibles de forcer le volume brut de la marchandise au détriment de ses qualités alimentaires ? Diverses autorités concluent pour la négative. Ne permet-on pas à un vigneron du Midi de submerger sa terre et de la gorger d’engrais variés pour faire produire des flots de vin faible, quoique loyal ? Le tribunal de la Seine n’a pas admis cet argument et il a bien fait, mais nous connaissons un jugement plus intéressant encore du tribunal d’Avignon, fondé sur les expertises de M. le professeur Porcher, de l’Ecole vétérinaire de Lyon.

Les experts du laboratoire de Marseille avaient déclaré un certain lait mouillé à 8 p. 100, tandis que l’inculpé, un Italien, soutenait avoir simplement livré le produit tel qu’il sortait du pis de ses vaches. Alors intervinrent les expériences du professeur susnommé qui prouva sans peine qu’une bête suralimentée en « drèches » et copieusement abreuvée pouvait et devait fournir des torrens de lait sans pouvoir nutritif. Admettant cette thèse, le tribunal condamna l’ultramontain à 100 francs d’amende et aux dépens. Mais les juges d’Avignon, en gens lettrés, ne manquèrent pas de le qualifier de compatriote de Virgile, tout en convenant que probablement jamais il n’avait lu, depuis les 25 ans qu’il fournissait du lait aux comtadins, les vers célèbres :


Ipse manu salsaaque ferat præsepibus herbas,
Hinc et amant fluvios magis et magis ubera tendant.


Nous sommes en Italie et il s’agit de brebis ; ajoutons alors qu’une autre fraude, à peu près inverse, s’y pratique, sans qu’il y ait chance de la voir s’étendre dans le midi de notre France. On débite chez nos voisins du Sud-Est, comme lait de vache pur, du lait de vache coupé de lait de brebis, non parce que celui-ci est meilleur marché, mais parce qu’étant beaucoup plus gras que celui-là il facilite mieux un mouillage modéré.

Revenons à une curieuse conséquence de l’alimentation des vaches. Il y a peu d’années, des employées aux hospices d’Amiens constatèrent qu’après cuisson, le lait qu’on leur livrait prenait une bizarre teinte rouge. Elles s’adressèrent