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s’illumine d’un rayon d’amour ; et sur-le-champ le ton de ses lettres se réchauffe et s’élève, nous apporte l’écho des exquises chansons qui jaillissent en lui. C’est une belle jeune femme, la dame d’un château du voisinage, qui l’a complimenté de ses vers avec un tendre sourire ; ou bien c’est la chère cousine, lady Hesketh, avec qui il s’est brouillé quinze ans auparavant, dans une de ses crises de soupçon maladif, et qui lui annonce sa prochaine visite. Désormais Cowper ne, pense plus à rien d’autre, il frémit d’impatience et compte les heures, s’exalte en de naïfs espoirs d’un bonheur merveilleux. Et puis il s’aperçoit de l’impossibilité, pour lui, de goûter jamais ce bonheur qu’il vient d’entrevoir ; et de nouveau l’amoureux redevient l’humble ami de naguère, avec à peine une nuance de mélancolie transparaissant par-dessous son aimable sourire résigné.

Combien je regrette de ne pouvoir pas raconter avec un peu de détail l’un au moins de ces petits romans de la vie du poète ! Celui-ci, un jour, a aperçu dans la rue, devant sa maison, une jeune dame dont la figure lui a semblé si charmante qu’il s’est enhardi jusqu’à l’aborder. C’est une certaine lady Austen, une veuve, fort éprise de poésie ; et bientôt Cowper, à force de lui témoigner son admiration, la décide à venir passer toutes ses vacances à Olney. Alors commence pour lui une période de ravissement ininterrompu ; ses lettres nous le montrent enivré d’une joie qui s’épanche délicieusement en une infinité d’inventions imprévues ou de gais souvenirs, prêtant à toute cette partie de sa correspondance un attrait exceptionnel d’effusion poétique. C’est sous l’inspiration de lady Austen qu’il se met à décrire en vers le sofa de son salon, inaugurant ainsi son grand poème de la Tâche ; c’est un récit de lady Austen qui, après l’avoir fait rire durant toute une nuit, nous vaut, le lendemain, son Histoire de John Gilpin. Une brouille, survenue au printemps suivant, ne sert qu’à lui rendre plus douce la réconciliation avec son amie ; et celle-ci revient demeurer à Olney, et de nouveau les lettres de Cowper chantent et rient, comme si une couvée d’oiseaux était revenue habiter le cœur ensoleillé du poète. Mais tout d’un coup les oiseaux s’envolent ; le soleil, qui tout à l’heure étincelait joyeusement dans les lettres de Cowper, reprend ses tièdes et pâles reflets d’autrefois ; et nous apprenons que la « santé » de lady Austen a forcé la jeune dame à partir pour Brighton. Et c’est seulement maintes années plus tard qu’une confidence de Cowper nous explique le secret de cette rupture. L’excellente Mme Unwin, tout en n’ayant pour son compagnon que des sentimens maternels, n’a pu souffrir qu’une autre femme se trouvât admise à