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GIOVANNI PASCOLI.


III

Chez Pascoli, l’érudit complète le poète, et ne le contredit pas.

Parmi tant d’auteurs italiens qu’il pratiqua pour son plaisir propre et pour le plaisir aussi d’en recueillir la fleur à l’usage des écoles, Dante le passionna. Il se mit à l’étudier avec la ferveur d’un culte : il le lut et le relut ; il s’entoura de tous les commentaires, et voulut remonter à toutes les sources. Peu à peu, il lui sembla que les parties obscures du poème s’éclairaient ; le voile que les érudits cherchaient vainement à soulever se déchirait, et il pénétrait de plain-pied dans le sanctuaire. Ce modeste devint orgueilleux de sa découverte ; il proclama son triomphe ; et, pour faire part aux autres du grand secret, il n’écrivit pas moins de trois volumes, à la masse imposante et au titre ambitieux : Minerve obscure ; Prolégomènes : la construction morale du poème de Dante ; Sous le Voile, essai d’une interprétation générale du poème sacré ; La Vision admirable, esquisse d’une histoire de la Divine Comédie. À vrai dire, les spécialistes le reçurent assez mal ; ils lui firent entendre, qui avec politesse, et qui avec âpreté, qu’il apportait peut-être d’ingénieuses remarques de détail, mais que la clef qu’il prétendait avoir trouvée n’ouvrait rien. Ces reproches le blessèrent sans le convaincre ; il se débattit contre la critique, et il resta toujours persuadé que lui, Pascoli, avait compris Dante ; que s’il avait un titre de gloire qui lui permit de demeurer sur les lèvres des hommes, ce serait celui-là ; que ses vers passeraient sans doute, mais son exégèse, jamais.

Ce n’est pas sous cet aspect qu’il faut le voir, penché sur Aristote ou sur saint Thomas pour trouver le rapprochement problématique qui justifiera ses hypothèses. Il y a en Italie un usage admirable, qui ne répond à aucune de nos habitudes littéraires, ni pour la majesté du rite, ni pour le sentiment, national qu’il révèle, et en même temps qu’il exalte. Ce sont les « lectures dantesques ; » chaque semaine, l’élite intellectuelle des villes se réunit, et vient entendre commenter un chant du grand poème. Représentons-nous Pascoli à Florence, invité à faire la première des explications du Paradis ; voyons-le dans la salle austère d’Or San Michele, gravissant les hauts degrés de la