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Une des parties les plus importantes des Mémoires de sir Robert Morier est consacrée à l’Alerte de 1875. Elle mérite d’être étudiée avec soin.

Dès le mois de février 1874, Morier écrivait que le chancelier allemand s’efforçait de faire admettre à l’opinion publique la possibilité d’une nouvelle guerre avec la France, et le diplomate anglais regrettait à ce propos l’attitude effacée de son pays en 1870. Le conseiller Geffcken, qui était en relations amicales avec lui et possédait la confiance du Kronprinz, l’avertissait qu’une crise extérieure pourrait bien sortir des embarras causés à Bismarck par sa lutte contre les catholiques.

Le prince impérial vint à passer à ce moment par Munich et eut avec Morier un long entretien. Il s’efforça de rassurer le diplomate sur l’imminence d’une guerre et l’autorisa à répéter ses paroles au ministre français, Lefebvre de Béhaine. Cependant, tout en affirmant que l’idée de nouvelles hostilités lui était odieuse, il paraissait se préoccuper, lui aussi, des armemens de la France. L’empereur Guillaume avait dit à Hohenlohe qu’il ne doutait pas que les Français ne se préparassent à attaquer à la première occasion. Morier affirmait que leurs armemens n’étaient que purement défensifs. Mais les bruits de guerre s’accentuaient à Berlin. Le monde financier s’inquiétait. L’Empereur aurait demandé au chancelier d’où venaient tous ces bruits, et celui-ci en aurait rejeté la responsabilité sur le maréchal de Moltke, dont le Kronprinz disait lui-même : « C’est un grand génie militaire, mais il est absolument dépourvu d’idées politiques. » À ses intimes, le chancelier affirmait que l’impératrice Augusta était plus responsable encore et l’accusait d’avoir elle-même inquiété Gontaut-Biron. Cependant, il était certain que Bismarck, devant l’échec du Kulturkampf, cherchait une diversion. Il attribuait la résistance des catholiques non seulement à leur fanatisme, mais à des encouragemens venus de l’étranger. Il s’irritait de voir les catholiques français applaudir aux nobles efforts des catholiques allemands pour défendre leur foi et leurs intérêts. Il voyait des ennemis partout. Sa politique tracassière était surtout soupçonneuse. N’a-t-il pas fait lui-même cet aveu significatif dans ses Souvenirs : « Si, après le traité de Francfort, un parti catholique, d’opinion soit royaliste, soit républicaine, était