Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une sorte de prise à bail parfaitement suffisante pour nos desseins. Il ne restait donc plus qu’à ratifier ces traités et à envoyer la garnison et le matériel : le ministre de la Marine, qui avait fait étudier l’opération dans ses moindres détails, la proposa au Conseil, en juillet 1845. Malheureusement, à Basilan même, un des bâtimens de l’amiral Cecille était, au cours d’une reconnaissance, entré en conflit avec des indigènes et son commandant avait eu alors l’idée malencontreuse de faire intervenir un fonctionnaire de Luçon. Cela suffit naturellement à mettre en éveil le gouverneur général espagnol d’abord, puis le gouvernement de Madrid. L’Espagne n’avait, à bien prendre, nul droit sérieux sur Basilan ; mais l’occasion pouvait lui paraître bonne pour s’en créer. Le ministère français, d’autre part, tenait à ménager la reine Christine, puisque le mariage des princesses espagnoles était devenu la préoccupation principale de sa politique. Quand donc l’amiral de Mackau vint demander l’autorisation de brusquer les choses en expédiant marins et soldats, des objections nombreuses surgirent, et M. Guizot notamment ne se fit pas faute de formuler les siennes.

La discussion fut, sinon vive, tout au moins très sérieuse, à en juger d’après les notes que Mackau eut soin de prendre comme pour dégager sa responsabilité personnelle d’une décision qu’il désapprouvait. Tout porte à croire, en effet, qu’il défendit le projet chaleureusement : en tout cas, il le défendit en vain. Les habitudes traditionnelles l’emportèrent. On ne voulut point compromettre ce qu’on croyait être la grande politique pour une de ces affaires qu’on estimait d’ordre inférieur. La réalité d’un port lointain fut jugée moins précieuse qu’un chimérique avantage d’amour-propre en Europe et finalement la France dut renoncer à s’installer solidement dans les mers d’Asie, afin d’être mieux assurée d’établir en Espagne un des fils de son Roi.

Ce fut, du même coup, la fin du système des points de relâche. Non que son abandon fût solennellement décidé. Les ministres s’en réclamaient encore : on lui rattacha le maintien du protectorat sur Tahiti, quand les protestations anglaises obligèrent à désavouer l’annexion proclamée par Dupetit-Thouars, et l’amiral Cecille se vit invité, d’autre part, à chercher dans les mers de Chine une île qui remplacerait pour nous Basilan.