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— Oui. Quelqu’un vous a suivi. Oh ! n’ayez crainte. Quelqu’un qui ne nous est rien ni à l’un ni à l’autre… Alors, maintenant, que pensez-vous faire ?

— Je ne sais pas, moi, je ne sais rien…

Les larmes étaient prêtes à revenir. Gabriel Baroney sentit que la pauvre fille était sincère et aussi qu’elle n’était pas coupable ou, du moins, pas responsable de ce qui était arrivé. Il était venu en père offensé et, peu à peu, il se transformait en protecteur. Son grand front blanc était comme un miroir sur lequel Marthe Bourin attachait ses regards…

— Je ne sais pas, répéta-t-elle, mais vous allez me le dire. Ah ! si mon père m’avait parlé comme cela. Je n’en serais pas où j’en suis. Je saurais ce que j’ai fait. Je saurais à quoi cela m’engage.

— Ma chère enfant, prononça Gabriel Baroney après un instant de réflexion, l’importance d’un acte est en rapport avec le plus ou moins grand don de soi qui s’y trouve mêlé… Je devine de quoi vous voulez parler… On n’est pas maitre des actions des autres… Mais il n’y a pas que ce… baiser subi. Il y a une situation nouvelle. Vous ne vous êtes pas assez… révoltée pour être considérée comme une victime. A mesure que vous me parlez et malgré vos réticences, je me persuade davantage que vous avez pris une voie autre et que vous ne pouvez plus retourner en arrière… Je vois qu’il ne peut plus être question d’Étienne, et cela, je le déplore et pour lui et pour vous. Vous auriez eu un bon mari ! L’espèce est assez rare… Vous aviez la sécurité, vous allez vers l’inconnu. Je fais des vœux pour que vous ne rencontriez pas trop de ronces sur votre chemin…

— Si l’on ne veut pas de moi, je resterai fille, voilà tout.

— Ce n’est pas si simple, même de rester fille. Et puis, qui sait si l’on se dérobera ? Les Baroney sont tous des honnêtes gens.

— Oui, je le sais… et c’est peut-être pour cela que j’ai été si faible.

— Non, ça n’est pas pour cela, ne vous faites pas d’illusion. Vous n’avez rien calculé ; aussi je vous conserve mon amitié…

— Vous ne m’en voulez pas trop ? Je suis pourtant bien coupable après l’accueil qui m’avait été fait par tous les vôtres.

— Je ne vous garde pas rancune parce que je sens que, si vous faites souffrir mon garçon, vous allez bientôt avoir à souffrir. C’est certain.

— Ce sera ma punition. Je l’accepte d’avance.